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C'était il y a sept mois, c'était il y a un siècle. La «primaire de la droite et du centre» donnait le coup d'envoi d'un marathon électoral qui s'est enfin achevé ce dimanche 18 juin 2017. Huit jours de vote (primaire de droite puis de gauche, présidentielle, législatives) pour rendre le paysage électoral français totalement méconnaissable.
À la fin, il n'en reste plus qu'un: Emmanuel Macron. Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, François Hollande, Manuel Valls, Arnaud Montebourg et tant d'autres ont été successivement les victimes du gigantesque chamboule-tout de saison.
Le nouveau monde qui propulse à l'Assemblée nationale une écrasante majorité de fidèles du président élu le 7 mai ne naît pourtant pas dans une atmosphère de liesse euphorique. C'est bien plutôt le fatalisme et la résignation des électeurs face à la stupéfiante nouvelle donne qui l'emporte, comme en témoigne le record absolu d'abstention enregistré au second tour de ces législatives (environ 57% des inscrits).
Soucieux de revenir à une lecture classique des institutions de la Ve République, Macron promettait de présider avec distance et de ne point céder aux délices du pouvoir personnel.
La logique d'une position de force institutionnelle qui tient presque exclusivement à sa propre réussite crée pourtant les conditions d'un exercice du pouvoir plus concentré qu'il ne l'a jamais été. Le nouveau parti du président s'octroie, avec son allié du MoDem, une large majorité d'au moins 60% des sièges, dont une majorité absolue pour LREM.
Cette situation a peu de précédents. A l'issue des élections législatives de 1958, pourtant caractérisées par un raz-de-marée gaulliste, l'UNR (parti soutenant le général de Gaulle) ne disposait que d'un peu plus d'un tiers des sièges de l'Assemblée. En 1981, la «vague rose» soulevée par l'élection à l'Elysée de François Mitterrand envoya au Palais-Bourbon 58% de députés socialistes.
Non seulement, cette fois-ci, le seul parti présidentiel écrase ses rivaux mais il se caractérise par une nouveauté et une verticalité offrant tous les pouvoirs au chef de l'Etat. Même triomphant, le PS était traversé de courants qui limitaient les marges de manœuvre du président, dont la motion n'avait par exemple recueilli «que» 45% des voix lors du congrès de son parti deux ans plus tôt, à Metz. Il n'en va pas de même avec une formation composée de néophytes ayant signé par écrit l'engagement de voter les lois mettant en œuvre le projet présidentiel.
Pour la première fois, une élite technocratique a les pleins pouvoirs pour mener la politique qui lui est chère. Le «bloc bourgeois» l'a emporté et il ne pourra faire valoir aucune excuse si le succès n'est finalement pas au rendez-vous de ses choix qu'il croit éclairés.
La compétition droite-gauche des partis de gouvernements les contraignait à être attentifs à des clientèles électorales hostiles, pour des raisons au demeurant diverses, au libéralisme économique. Cette épée de Damoclès de l'alternance ne pèse plus sur un centre macronien désormais libre de poursuivre les «réformes» imposées par la loi d'airain de la «compétitivité».
C'est ainsi que le nouveau pouvoir peut prendre le risque de mettre en œuvre des réformes éminemment impopulaires. On songe ici au démantèlement du code du travail. Chacun aura remarqué que le pouvoir s'est bien gardé d'abattre ses cartes, sur ce dossier, avant l'arbitrage du corps électoral. Cette ruse prouve à la fois qu'il est conscient de forcer ici le consentement commun mais aussi que telle est bien son intention.
Tout ceci risque fort de nous ramener, à plus ou moins longue échéance, à la vieille problématique de l'opposition entre «pays légal» et «pays réel», aussi contestable que soit cette dichotomie facile.
La rénovation politique promise par le mouvement En marche! aurait théoriquement pu combler le fossé qui s'est creusé entre les citoyens et leurs représentants politiques. Le moins qu'on puisse dire est que la réalité est différente. Le surgissement du mouvement macronien dans les palais de la République permet certes un rajeunissement et un renouvellement importants de nos élites politiques. Mais celles-ci demeurent tout aussi peu représentatives de la société française qu'auparavant.
Une écrasante majorité des candidats de la «République en marche» sont issus des classes supérieures (69%), les catégories populaires demeurant aussi peu représentées (9%) que dans les autres formations politiques. Le parti macronien permet assurément aux élites du secteur privé d'être un peu mieux représentées mais il ne résout pas la question décisive de l'exclusion de l'engagement politique des moins bien lotis socialement.
Le parti présidentiel d'aujourd'hui est encore moins capable que le parti gaulliste d'avant-hier ou le parti socialiste d'hier de faire remonter vers l'exécutif les préoccupations populaires. Dans la démocratie médiatique d'aujourd'hui se met ainsi en place un dangereux face à face entre le président et l'opinion, sans les médiations qui faciliteraient la résolution des futurs conflits.
La monochromie de la nouvelle Assemblée nationale n'aidera pas. «Il faudra trouver un moyen de scénariser une pluralité de tendances entre nous pour qu’il y ait un semblant de débat», confiait cocassement avant le second tour un candidat «en marche» proche de la victoire. «Il ne faudrait pas que le seul débouché pour les idées soit la rue», ajoutait-il non sans lucidité.. Dans un premier temps, le pouvoir n'a guère de souci à se faire. Même les syndicalistes radicaux de «Solidaires» ne se font pas d'illusion sur les possibilités d'organiser une mobilisation cet été contre la réforme du code du travail.
Très rapidement, pourtant, les anticorps d'une société française loin d'être convertie au libéralisme économique pourraient pourtant se rappeler au bon souvenir des nouveaux gouvernants.
Tout sera, au fond, question de perspective. L'aventure macronienne signe-t-elle l'avènement d'une nouvelle ère politique ou bien n'est-elle que le produit de la décomposition politique en cours? Constitue-t-elle un début ou une fin de cycle?
Après tout, LREM peut être vu comme le stade final de l'UMPS, l'achèvement d'un processus de rapprochement de la droite républicaine et de la gauche socialiste sur fond d'injonctions européennes et de contraintes mondialistes. Comme une dernière tentative de l'ancien monde de résoudre les problèmes du nouveau...
On peut aussi, bien entendu, lire la saga macronienne comme le premier épisode d'une nouvelle histoire d'optimisme français. La conjoncture économique, à nouveau souriante, sera peut-être complice des succès du nouveau pouvoir.
Encore les indices économiques ne peuvent-ils tout résoudre. Leur éventuelle bonne humeur ne suffira sans doute pas à surmonter les fragilités sociales et politiques que le président Macron en majesté ne pourra longtemps dissimuler.
Article publié sur Slate.fr
Les électeurs font la politique mais ils ne savent pas la politique qu'ils font. L'extraordinaire aventure politique d'Emmanuel Macron le conduit désormais sur le chemin d'insolents pleins pouvoirs alors même qu'aucune majorité de Français ne l'a vraiment voulu. L'implacable logique majoritaire du présidentialisme propre à la Ve République profite comme jamais au nouveau chef de l'Etat, crédité par les premières estimations, ce dimanche 11 juin, d'une majorité absolue de 400 députés, voire plus, dans une semains.
Celui-ci a certes réussi, de l'avis général, ses premier pas à l'Elysée, même si la complaisance médiatique qui entoure généralement le vainqueur a ici joué à plein. Mais c'est surtout la décomposition précipitée du système partisan qui permet au mouvement «En Marche!», étape après étape, de s'octroyer les pleins pouvoirs. L'inversion du calendrier électoral (les législatives après la présidentielle) décidée par Lionel Jospin avant 2002 ne pouvait que favoriser le réalignement politique autour d'un homme.
En bonne logique politique, ce sont les élections législatives qui auraient dû permettre à l'électorat de confirmer ou d'infirmer son accord avec le projet défendu par le nouveau président.
Ce n'est pas précisément ce qui s'est passé. La torpeur démocratique caractéristique des scrutins qui se déroulent dans le sillage d'une élection présidentielle s'est manifestée cette fois-ci avec plus de force que jamais. Un lourd fatalisme a gagné un électorat résigné à donner sa chance, quoi qu'il en pense vraiment, au nouveau chef de l'Etat.
Cet état d'esprit, générateur d'indifférence à l'endroit de l'enjeu législatif, a créé les conditions d'une abstention record sous la Ve République pour ce type de scrutin. Seulement un électeur inscrit sur deux aura participé à ce somnolent premier tour des législatives.
Dans ce contexte de démobilisation générale, les partisans du nouveau président tirent logiquement leur épingle du jeu. Le tout nouveau parti de Macron s'affirme largement comme la première force politique du pays. Avec moins d'un tiers des suffrages exprimés au premier tour, il semble promis à une écrasante majorité absolue de députés dimanche prochain.
La distorsion de la représentation parlementaire par rapport aux résultats électoraux risque ainsi d'être plus spectaculaire que jamais. L'avantage topographique d'une force située au centre de l'échiquier politique explique, pour une bonne part, cet effet d'amplification.
Et pourtant, l'immense majorité des électeurs ne souhaitent toujours pas –«macronmania» ambiante ou pas– que les partisans du président contrôlent à eux seuls la nouvelle Assemblée nationale. Toutes les enquêtes d'opinion indiquent qu'ils sont très partagés sur l'opportunité de laisser à Macron les moyens de mener librement sa politique.
D'après un sondage Elabe, 55% d'entre eux préféreraient «une majorité de députés favorables» à Macron contre 44% de députés «opposés». L'enquête Ipsos-Cevipof montre que pour 50% des sondés, il est préférable qu'il y ait «une majorité de députés favorables à Emmanuel Macron pour qu'il mène sa politique» mais que 50% préféreraient une majorité adverse «pour qu'il partage le pouvoir».
Interrogés plus précisément sur la perspective d'une majorité absolue de députés favorables à Macron, les électeurs se montrent encore plus circonspects. Seulement 30% d'entre eux (soit à peu près le score de premier tour de la «République en marche») souhaitent que son mouvement dispose de cette majorité absolue selon Kantar-Sofres. Ils sont 27% d'après une étude Louis-Harris-Interactive.
Toutes ces données prouvent que les partisans du nouveau président seraient fort imprudents d’interpréter leurs performances législatives comme une incontestable ratification populaire de leurs propositions. Si le débat électoral avait véritablement porté sur la réforme du code du travail, la hausse de la CSG ou encore les diverses réformes fiscales envisagées, le parti du président aurait certainement obtenu des résultats plus modestes.
Pour autant, ceux qui n'auront de cesse de souligner la faiblesse du mandat obtenu par le nouvel exécutif devraient aussi songer à la logique profonde de son succès. Les Français ne sont pas ivres de «macronmania» mais ils étaient bien résolus à casser l'ancien système politique.
Le dégagisme restera comme la colonne vertébrale de ce printemps électoral. La droite républicaine et la gauche socialiste ont été clairement rejetés, même si l'ampleur du désastre est différent pour LR et le PS. L'ambiguïté de ces deux partis vis-à-vis du nouveau président ne pouvait que leur porter gravement préjudice.
La puissance du centre macronien est enfin et surtout liée à l'influence de formations extrêmes qui suscitent l'hostilité d'une large majorité d'électeurs. Le Front national et la «France insoumise» restent très influents dans les catégories populaires –qui ont au demeurant peu voté ce dimanche, ce qui explique leur recul. Mais aucune de ces deux forces ne peut prétendre à une vocation majoritaire.
Article publié sur Slate.fr
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Même dans ses rêves les plus fous, François Bayrou n'aurait pu imaginer un scénario aussi inouï: une force centroïde capable de propulser une majorité absolue de députés à l'Assemblée nationale –de 310 à 330 sièges, selon la dernière projection OpinionWay. Et cela sans changer, le moins du monde, de mode de scrutin ou de logique institutionnelle.
C'est au contraire le présidentialisme de la Ve République qui a toutes les chances d'offrir à Emmanuel Macron une spectaculaire majorité législative. L'effet d’entraînement de l'élection reine de ce système sur celle des députés va se manifester une nouvelle fois. Beaucoup moins habituel, la configuration politique inédite née du scrutin des 23 avril et 7 mai place désormais au service d'un parti centriste l'implacable mécanique du scrutin majoritaire à deux tours.
Celui-ci a longtemps été regardé comme le garant, ou parfois même la source, de la bipolarisation droite-gauche. Il cesse pourtant brutalement de jouer ce rôle dès lors que le centre franchit le seuil d'une masse critique et que de puissants extrêmes, à droite comme à gauche, consolident leur influence.
Le parti présidentiel devrait, si l'on en croit les intentions de vote législatives, recueillir une fraction des suffrages exprimés nettement supérieure à celle obtenue par Macron lui-même le 23 avril (24%). Selon les quatre instituts qui se prêtent à cet exercice (Elabe, Ifop, Harris Interactive, OpinionWay), ses candidats sont crédités de 28 à 33% des voix potentielles. Et la tendance semble être à leur progression.
Le phénomène «attrape-tout» qui avait si bien réussi à l'ancien ministre de l'Economie à l'élection présidentielle se reproduit à l'échelle législative. Non seulement la bienveillante REM se permet de conserver la plus grande proportion d'électeurs fidèles de l'élection présidentielle, mais elle attire une part non négligeable de celles et ceux qui avaient voté pour d'autre candidats que Macron: 11% de électeurs de Mélenchon, 19% de ceux de Hamon ou encore 17% pour ce qui est de Fillon.
Ce centre aux joues rebondies est d'autant mieux promis à la victoire finale que deux formations extrêmes réduisent l'influence d'une droite et d'une gauche traditionnelles déjà amputées de leurs franges modérées. En dépit de son réseau d'élus locaux et de députés sortants, le Parti socialiste n'est crédité que de 6 à 10% des intentions de vote avec un tendance à la baisse.
Un grand remplacement semble en marche à gauche si l'on veut bien se rappeler que le PS avait rassemblé 29,4% des suffrages exprimés au premier tour des législatives de 2012. Les socialistes subissent de plein fouet la concurrence de REM mais aussi de la «France insoumise» à qui les sondeurs promettent de 12 à 16% des suffrages potentiels.
La droite républicaine est en moins triste état que la gauche socialiste sans avoir pour autant de quoi pavoiser. Avec de 18 à 20% des intentions de vote, LR est même menacé de faire moins bien que son récent et affairé candidat présidentiel (20%). Une décrue que devrait également connaître un Front national (de 18 à 19%) promis à un score inférieur à celui de Marine Le Pen (21,3%).
L'essentiel reste cependant que le centre macronien se trouve bien placé pour tirer les marrons de ce feu législatif. C'est ici qu'intervient le PMM, à la fois «Parti de Magic Macron» et «Parti du Moindre Mal». Avec plus du quart de votants, il peut s'installer comme pivot du premier tour de scrutin avant de profiter, au tour décisif, du report de ceux qui voudront éviter le pire.
Il est fort probable que le taux de participation sera faible le 11 juin prochain. Elabe indique que seulement 51% de personnes interrogées se disent certaines d'aller voter. Au premier tour des législatives de 2012, la participation n'avait atteint que 55,4% des électeurs inscrits.
Si l'on retrouve le même ordre de grandeur cette fois-ci, le nombre des triangulaires au second tour sera peu élevé (un candidat doit franchir la barre des 12,5% des inscrits pour pouvoir se maintenir). Or, pour peu qu'un de ses candidats participe au tour décisif, REM bénéficiera à plein du privilège stratégique de sa position centrale.
Article publié sur Slate.fr
Le premier Premier ministre d'un nouveau président de la République n'est généralement pas le fruit d'un libre choix. Cette nomination obéit d'abord à une assez contraignante logique de situation politique. Le chef du gouvernement peut être l'homme qui a permis l'élection du chef de l'État ou encore celui qui incarne le mieux le changement promis aux électeurs.
Dans le contexte inédit de 2017, cette froide logique de situation prend cependant une toute autre dimension. Le Premier ministre choisi doit aussi et surtout permettre à un président audacieusement perché au-dessus du clivage gauche-droite de faire élire une majorité de soutien à l'Assemblée nationale. C'est donc Édouard Philippe, 46 ans, maire Les Républicains du Havre, qui aura la tâche mardi 16 mai de désigner le nouveau gouvernement, a annoncé le secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler.
Car la perspective de remporter une majorité aux législatives ne relève pas aujourd'hui de l'automaticité. Les électeurs ont hissé Emmanuel Macron en tête de la présidentielle dans un paysage très particulier dominé par l'influence de l'extrême droite et le discrédit, politique ou personnel, des candidats des deux principaux partis de gouvernement. Ils l'ont ensuite élu à l'Élysée, à une majorité des deux-tiers, mais avant tout pour éviter Marine Le Pen.
Aussi réel soit-il, l'espoir suscité par l'élection d'un homme de 39 ans, neuf politiquement, à la présidence de la République ne saurait être surestimé. Les cérémonies d'investiture du nouveau chef de l'État, le 14 mai, n'ont guère soulevé de ferveur populaire dans les rues d'une capitale qui avait pourtant voté pour lui à 90% des suffrages exprimés.
À quelques jours de son sacre présidentiel, les électeurs se montraient partagés sur l'opportunité de lui offrir une majorité législative. Seulement 34% des sondés de Kantar-Sofres souhaitaient «que le président de la République Emmanuel Macron dispose d'une majorité pour gouverner» contre 49% qui préféraient «qu'il y ait une autre majorité à l'Assemblée, ce qui conduira Emmanuel Macron à cohabiter avec un Premier ministre issu de cette majorité».
Une enquête Elabe témoignait, elle aussi, de l'ambivalence de l'électorat: 52% des électeurs souhaitent «une majorité de députés favorables à Emmanuel Macron» mais 47% «opposés». L'effet d’entraînement de la large victoire du 7 mai a certainement renforcé la dynamique qui pousse habituellement à des législatives de confirmation du verdict présidentiel.
En même temps, comme dirait Macron, la volonté d'assurer un contre-pouvoir parlementaire, ou plus simplement de rééquilibrer le rapport des forces politiques, peut conduire nombre d'électeurs à suivre leurs propres inclinaisons partisanes. Ces résistances à l'hégémonie du parti présidentiel ne seront sans doute pas suffisantes pour envoyer au Palais-Bourbon une majorité de cohabitation conflictuelle avec le nouveau président.
Mais elles pourraient bien le priver d'une majorité absolue. Ce seuil sera d'autant plus difficile à franchir que le Front national est bien parti pour s'offrir un groupe parlementaire non négligeable. L'extrême droite est arrivée en tête dans 216 circonscriptions le 23 avril et pourrait se maintenir dans près de 300 circonscriptions au second tour des législatives.
Une étude OpinionWay, réalisée avant le second tour de la présidentielle, attribuait une fourchette de 249 à 286 députés à République en Marche. Ces projections sont évidemment très fragiles et on en retiendra surtout que Macron n'est nullement assuré de disposer en juin d'une majorité à sa dévotion.
On songe ici aux législatives de 1988 qui n'avaient pas permis au PS, contrairement à ses attentes, de s'offrir une majorité absolue de députés à l'Assemblée nationale. François Mitterrand s'était fait réélire sur l'orientation centriste de la «France unie».
Il avait eu l'imprudence de déclarer, pendant la campagne législative, qu'il n'était pas sain qu'un seul parti gouverne. Un souhait entendu par l'électorat, la majorité présidentielle de l'époque devant finalement se contenter de 275 députés contre 271 à la droite et 27 aux communistes.
En ce printemps, le danger pour le nouveau président se situe clairement à droite. Une enquête d'intentions de vote Harris Interactive réalisée après le 7 mai n'attribue pas moins de 29% des intentions de vote aux candidats «en marche». Viennent ensuite, à égalité, LR (20%) et le FN (20%), les candidats de la France insoumise arrivant loin derrière avec 14% des suffrages potentiels, le PS peinant à 7%.
Déçus par l'élimination de leur représentant du tour décisif de la présidentielle, les électeurs de la droite républicaine peuvent être particulièrement motivés pour faire valoir leurs intérêts lors du scrutin législatif. La gauche est infiniment moins menaçante pour Macron. Elle part à ce combat encore plus divisée et fracturée qu'à la présidentielle.
Le sectarisme de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis ne les a pas seulement coupés du Parti communiste. Il les conduit même à s'opposer au rassemblement autour de personnalités militantes comme Caroline de Haas, face à Myriam El Khomri, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Mélenchon prend des accents rappelant ceux de Georges Marchais quand il promet de «porter à l'Assemblée la voix des pauvres, des humiliés, des abandonnés et du reste». Cette ligne tribunitienne peut ouvrir les portes de l'Assemblée à sa garde rapprochée qui a pris soin de se présenter dans de solides circonscriptions de gauche. Elle ne représente guère un danger pour les «macronistes».
Casser la droite est donc vital pour le nouveau président. Détacher de LR la composante modérée et juppéiste est indispensable pour rééquilibrer une majorité où les anciens socialistes s'offraient jusqu'à présent la part du lion au point d'avoir légitimement effrayé François Bayrou.
Favoriser cette recomposition sans la ramener à une «ouverture» faite de ralliements individuels, comme ce fut pratiqué par la gauche en 1988 et par la droite en 2007, supposait l'accomplissement d'un acte symbolique fort: nommer à l'hôtel Matignon un élu appartenant à la droite républicaine ouvrant la porte du gouvernement à plusieurs personnalités de cette mouvance.
Le choix d'Édouard Philippe, député LR de Seine-Maritime, permet ainsi de prouver que le président Macron enjambe sans crainte le clivage droite-gauche. La promotion du maire du Havre, peu connu du grand public, crédibilise d'un même mouvement le renouvellement politique annoncé.
C'est ainsi que cet avocat de 46 ans, énarque, ancien militant socialiste, et qui se demandait sur un ton sarcastique «qui est Macron?» il y a moins de quatre mois, est soudainement devenu l'homme de la situation.
Article publié sur Slate.fr
«Tout dire avant pour tout faire après.» Ce slogan volontariste a fait florès, à droite, pendant la pré-campagne présidentielle. Nicolas Sarkozy ou Bruno Le Maire défendaient l'idée de présenter précisément un programme de réformes aux Français pour avoir la légitimité de l'appliquer après les élections. François Fillon était, lui aussi, partisan d'une stratégie du même ordre.
Contraint de naviguer entre la gauche et la droite, Emmanuel Macron ne pouvait s'enfermer dans un mot d'ordre aussi impératif. Le candidat En Marche! n'en a pas moins bâti sa dynamique de campagne sur la promesse répétée d'un changement profond en esquissant un projet social-libéral.
Or cette élection présidentielle atypique génère un paradoxe lourd de conséquences pour Emmanuel Macron, bien placé pour l'emporter largement le 7 mai. Ce scrutin s'annonce à la fois comme un succès personnel extraordinaire pour l'ancien conseiller de François Hollande à l'Elysée et comme une victoire politique de piètre qualité pour le candidat En Marche!.
Les deux exceptions concernent les scrutins de 1995 et 2002. Dans le premier cas, Jacques Chirac avait dû se contenter de 20,84% des voix au premier tour. On sait qu'il perdra le pouvoir deux ans plus tard. En 2002, c'est déjà contre le FN que le même Chirac l'emporta après avoir rassemblé pas plus de 19,9% des suffrages exprimés au premier tour. Privé de mandat clair, ce second quinquennat présidentiel ne fut guère plus brillant que le précédent.
Or les 24% d'électeurs qui ont glissé un bulletin de vote Macron dans l'urne au premier tour sont loin d'adhérer tous à son projet politique. L'enquête réalisée le jour du vote par l'Ifopmontre que cet électorat est celui pour lequel «la capacité du candidat à être présent au second tour» a été le plus «déterminant» (78%) et «le programme et les projets du candidat» le moins (71%).
L'autre enquête réalisée le jour du vote, cette fois par OpinionWay, confirme qu'une partie notable des électeurs de Macron étaient mus par des considérations d'ordre tactique ou stratégique. Près de la moitié (45%) d'entre eux disent avoir «voté utile en tenant compte des chances de chaque candidat», une forte proportion qui ne se retrouve dans aucun autre électorat.
Au final, seulement 65% de ceux qui ont voté Macron au premier tour souhaitaient «qu'il soit élu président de la République». Ces macronistes convaincus ne représentent, dés lors, que 15,6% des suffrages exprimés le 23 avril, soit pas plus de 12% des électeurs inscrits. On admettra que c'est bien peu comme soutien populaire pour légitimer un projet de réformes.
Le faible mandat accordé par les électeurs à Macron au premier tour se double d'un second tour dominé par l'opposition à Marine Le Pen. Soucieux de la cohérence de son projet, le candidat En Marche! n'a pas voulu l'amender entre les deux tours. Mais il a bien été obligé d'admettre que la majorité d'électeurs qui devraient l'envoyer à l'Elysée le 7 mai déborde très largement le cadre de ses supporters.
Macron l'a enfin reconnu le 1er mai à Paris:
«Je sais que beaucoup voteront pour moi pour ne pas avoir le Front national. Je veux leur dire ici mon respect, et le fait que j'ai pleinement conscience que le 7 mai, je fais plus que défendre un projet politique: je porte le combat pour la République et pour la démocratie libre».
Pour autant, Macron a refusé toute concession qui aurait donné un contenu à ce large rassemblement indispensable à son élection. Il a ainsi rejeté l'idée d'abandonner la réforme du code du travail par voie d'ordonnance, suggérée par Jean-Luc Mélenchon, alors même que ce projet va plus loin qu'une loi El Khomri massivement impopulaire.
Une victoire large de Macron ne signifierait nullement une ratification de son projet sur lequel il a, au demeurant, assez peu fait campagne dans l'entre-deux-tours, donnant une certaine priorité aux cérémonies mémorielles. Même avec 60% des voix au soir du 7 mai, le candidat élu ne pourra honnêtement soutenir qu'une majorité absolue d'électeurs a approuvé son projet politique.
La dernière enquête Ipsos montre que seulement 40% de ceux qui ont l'intention de voter Macron au second tour «souhaitent vraiment le voir élu» contre 56% qui estiment qu'il «vaudrait mieux que ce soit lui plutôt que Marine Le Pen». Ce sondage attribuant 60% d'intentions de vote à l'ancien ministre de l'Economie, on peut en conclure que pas plus de 24% des votants du 7 mai pourraient être comptés comme de fervents partisans de l'heureux élu!
Aussi le nouveau président devra-t-il encore franchir une ultime épreuve électorale pour pouvoir appliquer son programme: les élections législatives de juin. C'est à ce moment-là que les Français pourront enfin arbitrer entre des orientations politiques antagonistes.
Car force est de constater que cette élection présidentielle, focalisée autour des personnalités et des «affaires», obnubilée par la menace du FN, a laissé au second plan les projets des uns et des autres. C'est sans doute la raison pour laquelle une écrasante majorité de sondés (habituellement plus des trois-quarts) ont régulièrement jugé cette campagne de «mauvaise qualité» selon OpinionWay.
Encore l'épreuve législative risque-t-elle d'être placée sous le signe d'une fâcheuse confusion. Le risque d'éparpillement des suffrages sera maximal avec une compétition qui devrait opposer, dans les plupart des circonscriptions, pas moins de cinq forces d'influence globalement équivalente: «France insoumise», PS, «En Marche!», LR et FN.
Le vote en faveur des candidats adoubés par Macron aura incontestablement valeur d'adhésion claire à son projet dés lors que ceux-ci se seront engagés, par écrit, à en défendre les mesures à l'Assemblée nationale.
Bien malin est celui capable d'anticiper le résultat du futur vote législatif. L'effet de souffle créé par l'élection de Macron se fera inévitablement sentir. Mais il sera compensé par les réactions de défense d'électeurs, de droite comme de gauche, attachés à leurs propres idées. Avec l'hypothèse non négligeable que cette équation complexe aboutisse à une Assemblée sans majorité gouvernementale claire.
Au final, cette interminable course au pouvoir du cru 2017 se sera jouée en pas moins de huit dimanches électoraux: deux tours de primaire de droite, deux tours de primaire de gauche, deux tours de présidentielle et deux tours de législatives. Que les amateurs de suspense ne baissent pas la garde: l'incertitude sur l'issue finale de la bataille planera bien au-delà du 7 mai.
Article publié sur Slate.fr
L'ordre d'arrivée des candidats à l'élection présidentielle correspond parfaitement à celui qui était indiqué par les derniers sondages. Cette absence de surprise ne doit pas conduire à sous-estimer l'ampleur du bouleversement du paysage électoral auquel nous assistons.
La pole position (24,01% des suffrages exprimés) arrachée par un homme politique inconnu du grand public il y a seulement trois ans, bénéficiaire de puissants appuis médiatiques et financiers mais dépourvu de soutiens partidaires, prouve que les règles du jeu démocratique ont radicalement changé en France.
Le temps n'est plus où des politiciens chevronnés gagnaient à l'usure la présidence de la République: à la troisième candidature pour François Mitterrand comme pour Jacques Chirac. Le trophée élyséen n'est plus désormais réservé aux chefs de partis que furent les quatre derniers chefs de l'État.
Le face à face Macron-Le Pen substitue au clivage gauche-droite, qui a longtemps structuré la bipolarisation de notre vie politique, un nouveau clivage sociologique et politique.
Il convient sans doute ici de faire référence au «clivage vertical», repéré par le politologue Jean-Luc Parodi dés 1990, opposant «ceux d’en haut, ceux qui nous gouvernent, le vieux “ils” du pouvoir lointain» et «ceux d’en bas, les petits, qui souvent disent “nous” pour faire nombre».
Ce nouveau clivage s'était spectaculairement manifesté lors du référendum sur le traité de Maastricht de 1992 où s'opposèrent «deux France», celle des classes populaires et de la méfiance à l'égard de l'Europe optant pour le «non». Le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 avait confirmé cette césure entre une France plus aisée en confiante dans l'avenir et une autre plus populaire et inquiète.
Ce n'est pas un hasard si Macron et Le Pen s'opposent le plus nettement sur la question européenne. Le rapport au monde est très discriminant pour leurs électorats: 76% des lepénistes estiment que «la France doit se protéger du monde d'aujourd'hui» contre seulement 19% des macronistes, selon un sondage réalisé le jour du vote par OpinionWay.
La même enquête confirme le contraste entre les profils sociologiques de ces deux électorats. Dans les «catégories socioprofessionnelles supérieures», le vote Macron écrase le vote Le Pen (28% contre 16%) à l'inverse de ce que l'on constate dans les «catégories populaires» (respectivement, 15% et 34%).
Le second tour, qui pourrait donner lieu à de vifs débats entre deux candidats à la vision du monde aussi opposées, pourrait encore durcir ces contrastes. Macron a beau avoir eu l'habileté de se présenter en candidat des «patriotes», libéré du système politique en place, il a reçu, dés dimanche soir, le soutien clair et net des candidats de LR et du PS.
Il est significatif que l'autre candidat de poids anti-libéral et hostile à l'actuelle construction européenne, Jean-Luc Mélenchon, se soit refusé à soutenir Macron sans plus tarder. Pour autant, la candidate frontiste se trouve en ballottage extrêmement défavorable après un premier tour où son adversaire «en marche» a gagné son pari d'arriver en tête.
Jamais certes le FN n'avait recueilli autant de voix que ce 23 avril: près de 7,7 millions de suffrages, soit environ 1,2 de plus qu'en 2012. Il n'en reste pas moins que son score de 21,3% des voix est en retrait par rapport au résultat du parti d'extrême-droite à la fois aux européennes de 2014 (24,9%) et aux régionales de 2015 (27,7%).
Marine Le Pen n'est pas parvenue à prendre une nouvelle stature présidentielle au cours d'une campagne qui a vu ses intentions de vote décliner de plusieurs points. Une défaite cuisante le 7 mai secouerait sans doute un Front national plus hétérogène qu'on ne le croit.
La gauche, dont est tout de même issu Macron, est incontestablement le camp le plus bousculé par ce premier tour de présidentielle. Comme on pouvait l'anticiper dés le vote des primaires, la candidature de Benoît Hamon n'a pas pu échapper aux lourdes contradictions politiques qui étaient les siennes.
Ses maigres 6,36% des suffrages exprimés rappellent les 5% obtenus par le candidat socialiste Gaston Defferre en 1969. On rétorquera peut-être que cela n'a pas empêché, deux ans plus tard, le Parti socialiste de renaître lors du fameux congrès d'Epinay, de se rénover, et de finir par conquérir le pouvoir en 1981.
L'histoire se répétera pourtant d'autant moins que les socialistes en sont plus à l'heure de la décomposition que de la recomposition. L'échec de Manuel Valls aux primaires, puis son soutien à Macron, ont provoqué de profondes blessures. Partisans de Hamon et de l'ancien premier ministre ne se voient plus guère cohabiter au sein d'un même parti.
La stratégie à adopter face à un président Macron pour les législatives de juin avivera encore les divisions entre socialistes. La frange modérée sera tentée de rejoindre la nouvelle majorité présidentielle, l'aile gauche campant dans l'opposition, et le marais tentant comme il le pourra de sauver les meubles.
Le très bon score enregistré dimanche par Jean-Luc Mélenchon (19,58%) ne facilitera pas forcément les recompositions à gauche. La déception manifeste du candidat de la «France insoumise» est à la mesure de l'espoir qu'il pouvait caresser de forcer le destin dans un contexte exceptionnellement favorable à la gauche radicale.
Son échec risque de révéler la fragilité de la dynamique très personnelle qui l'a porté dans cette campagne. Aussi la gauche a-t-elle toutes les chances d'être de plus en plus écartée entre une aile libérale proche de Macron, un centre socialiste, et une gauche radicale fortement influente.
Le sentiment d'être bêtement passé à côté d'une victoire promise a de quoi plonger dans l'aigreur une bonne partie de l'électorat de droite. L'insuccès de François Fillon (20,01% des suffrages exprimés) crée aussi les conditions de divisions redoublées dans ce camp.
Ce sont les désaccord internes à la droite qui avait empêché le remplacement d'un Fillon empêtré dans les «affaires» par un candidat alternatif. À ces oppositions de personnes s'ajoutent désormais l'expression de sensibilités contradictoires au sein des Républicains. Le mot d'ordre de soutien à Macron, affiché par son candidat dés dimanche soir, est loin d'être partagé par tous les responsables de ce mouvement.
Les dirigeants sonnés du parti de droite tentent de redonner espoir à leurs électeurs en leur faisant miroiter une victoire aux élections législatives. Il n'existe pourtant aucun précédent d'élection d'une Assemblée nationale de cohabitation dans la foulée du sacre d'un nouveau président.
Le séisme provoqué par la brutale irruption de Macron sur l'échiquier politique, ainsi que sa probable arrivée prochaine à l'Élysée, crée les conditions propices à l'élection d'une majorité de députés le soutenant. Le nouveau président est résolu à jouer la carte d'un renouveau attendu par beaucoup d'électeurs. Et il devrait avoir l'habileté de se ménager de nouveaux soutiens ici et là. Le succès engendre le succès.
Article publié sur Slate.fr
Vote utile ou de conviction? Choix guidé par les sondages ou les ignorant superbement? Les options apparemment binaires qui s'offrent à l'électeur perplexe, en cette fin de campagne présidentielle bigrement atypique, rendent très mal compte de la complexité de l'acte électoral.
Consciemment ou non, chacun d'entre nous est l'objet d'influences et de projections qui interdisent de réduire le vote à de simples considérations utilitaristes ou idéalistes. Prétendre voter de manière intelligente revient surtout à tenter de clarifier les multiples déterminants de son propre choix final. On se limitera ici à quatre formes de recommandations.
En notre époque d'hyper-individualisme et de sur-information ambiante, le choix électoral de chacun est devenu particulièrement emmêlé. On en viendrait presque à regretter nos ancêtres qui votaient parfois docilement comme le leur recommandait leur patron, leur châtelain ou leur curé.
Il y a quelques générations, le choix politique était encore très fortement déterminé par le milieu. On votait de la même manière de père en fils et le «vote de classe» exprimait fortement le primat des conditions sociales sur la décision politique. La puissance des affiliations partisanes contribuait encore à la stabilité du système et à la simplicité des arbitrages électoraux.
Tout ceci est loin d'avoir totalement disparu. Le haut niveau d'intentions de vote en faveur de François Fillon chez les «possédants» prouve, par exemple, que les variables sociologiques exercent toujours leur emprise sur le vote. L'indexation du vote en faveur d'Emmanuel Macron sur le niveau d'éducation des électeurs est une autre indication de l'effet persistant de l'environnement social sur la couleur du bulletin de vote.
On sait enfin que Marine Le Pen bénéficie d'un «vote ouvrier» d'un ordre de grandeur comparable à celui qui se portait sur le Parti communiste à son apogée. Pour autant, il ne fait guère de doute que de nombreux électeurs, plutôt désabusés ou déniaisés, naviguent en terrain électoral miné en se guidant d'un fragile vote tactique ou stratégique.
Le «vote utile» ne date pas d'hier. C'est lui qui avait provoqué la chute de Georges Marchais au premier tour de l'élection présidentielle de 1981 et précipité l'alternance alors souhaitée par les Français. C'est encore lui qui avait favorisé François Hollande en 2012.
Cette fois-ci, ce vote utile peut néanmoins prendre plusieurs figures au risque de contre-balancer ses effets. Certains électeurs sont tentés par Macron en tant que garantie supposée d'une défaite de Le Pen. D'autres se résignent à voter Fillon pour assurer le retour de la droite au pouvoir. D'autres encore appuient Jean-Luc Mélenchon, porteur d'un «vote nécessaire» radicalement ancré à gauche.
Essayer de faire honnêtement la revue de ses motivations. Un part irréductible du vote est liée à l'image de soi (exemple: qui me permet de prouver à moi-même ma générosité?). Une autre part dépend de calculs utilitaristes (qui m'exonère de taxe d'habitation?). On peut aussi être mu par un impératif stratégique (qui me prémunit contre une victoire de l'extrême droite?).
La complexité de l'équation à résoudre saute ici aux yeux. Même un vote en faveur de Benoît Hamon, apparemment frappé d'inutilité au regards de rapports de forces de fin de campagne, peut être motivé non seulement par des raisons idéologiques mais aussi stratégiques (comme le refus de voir le courant socialiste disparaître entre Macron et Mélenchon).
Les calculs stratégiques évoqués plus haut font inévitablement référence aux enquêtes d'intentions de vote. D'où une première question de principe: est-il opportun et légitime de prendre en considération les sondages comme l'un des éléments de détermination de son vote?
Ceux qui répondent non à cette interrogation –le rejet des sondages est une opinion très répandue dans la gauche radicale– ne se rendent pas forcément compte qu'ils défendent implicitement une conception extrêmement individualiste du vote.
Le sondage en tant que tel n'est une pollution de la démocratie que si l'on pense que l'électeur doit se prononcer que dans le secret de l'isoloir, dicté par sa seule conscience. On n'est pas loin ici d'une vision sacralisée et presque religieuse du vote.
On peut, à l'inverser, penser le dépôt d'un bulletin dans l'urne comme un choix personnel n'ayant de sens que par rapport à la décision collective qui résultera du scrutin. L'acte individuel s'inscrivant alors pleinement dans l'issue finale du vote, il devient tout à fait légitime d'être informé au mieux des intentions des autres citoyens.
L'argument selon lequel les sondages discréditeraient les candidats minoritaires et avantagerait outrageusement les favoris ne tient pas la route. Si tel était véritablement le cas, Mélenchon n'aurait, par exemple, jamais pu sortir de sa marginalité pour devenir un prétendant crédible au tour décisif de la présidentielle.
Intégrer les sondages dans sa réflexion personnelle n'implique aucunement de les ingurgiter sans esprit critique, bien au contraire. Les intentions de vote ne sont qu'un instrument de connaissance aussi utile qu'imparfait.
En France, les sondages pré-électoraux sont d'une qualité globalement appréciable, bien meilleure en tous cas qu'en Grande-Bretagne où les erreurs de mesure des instituts n'ont pas attendu le Brexit pour se manifester spectaculairement.
Le statisticien américain Nate Silver (qui accordait à Hillary Clinton 72% de chances de l'emporter à la veille de l'élection présidentielle américaine) s'est récemment ému de la très grande convergence des chiffres crachés par les différents instituts.
C'est un fait que les dernières enquêtes de sept sociétés qui sondent les intentions de vote aboutissent à des fourchettes bien étroites au regard de la variance statistique: 23 à 25% pour Macron, 21 à 23% pour Le Pen, 18,5 à 21% pour Fillon et 18 à 19,5% pour Mélenchon.
La proximité de ces chiffres n'est pas cohérente avec la «marge d'erreur» que tous les instituts joignent scrupuleusement à leur rapport conformément à une obligation légale. Rappelons que cette fameuse marge d'erreur est au total de 5% (plus ou moins 2,5%) pour un pourcentage de 20% calculé sur 1.000 personnes interrogées (avec un niveau de confiance de 95%).
L'américain Silver en déduit que les sondeurs français se copient outrageusement les uns les autres, personne n'osant prendre le risque de publier un chiffre déviant. Un certain mimétisme professionnel n'est pas à exclure, mais le problème réside surtout dans le voisinage des méthodes employées par les divers instituts.
En France, les sondages d'intentions de vote ne sont pas réalisés selon la méthode aléatoire, la seule qui permet de mesurer rigoureusement la marge d'erreur d'après les lois statistiques. Ils sont concoctés à partir de quotas sociologiques (âge, sexe, profession etc.). De savants redressements opérés par rapport aux déclarations des votes antérieurs permettent de retrouver, in fine, une certaine représentativité politique de l'échantillon.
Les ingrédients de cette subtile cuisine variant d'un institut à l'autre, les chiffres des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Mais le mode de recueil des données et leurs principes de traitement sont largement identiques. D'où cette trompeuse unanimité autour de fourchettes qu'il convient de ne pas prendre au pied du chiffre.
Car l'expérience montre qu'en cas d'erreur de mesure, les sondeurs se trompent à peu près tous de la même manière. Tous avaient, par exemple, sous-estimé Jean-Marie Le Pen et surestimé Lionel Jospin en 2002. Preuve, s'il en est, que la marge d'erreur statistique n'a rien à voir avec cette affaire.
On a beaucoup glosé, cette fois-ci, sur l'hypothèse d'un «vote caché» en faveur de Fillon qui ne se révélerait que dans le secret de l'isoloir. L'hypothèse d'une surestimation structurelle de Macron (candidat posté au centre du jeu politique) et d'une sous-estimation de même type de Fillon (candidat susceptible de rallier finalement des électeurs de droite malgré sa piètre réputation) n'est nullement à exclure.
Car la qualité des données brutes à partir desquelles travaillent les sondeurs français pose effectivement plusieurs problèmes. Les quotas ont été définis à une époque où les variable sociologiques explicatives du vote étaient assez différentes de ce qu'elles sont devenues.
Par ailleurs, les PCS (Professions et Catégories Socioprofessionnelles de l'Insee) à partir desquelles les instituts bâtissent leurs échantillons sont elles-mêmes d'une hétérogénéité telle que leur propre représentativité est fortement sujette à caution dans ces enquêtes. Ce ne sont pas n'importe quels ouvriers ou n'importe quelles «professions intermédiaires» qui sont effectivement sondés, aujourd'hui essentiellement par le biais d'internet.
Les fameux redressements politiques (rendons ici hommage à OpinionWay qui publie, sur le site de la Commission des sondages, les résultats bruts de ses enquêtes) ne pallient qu'imparfaitement à ces biais de terrain. Autrement dit, l'électeur doit mentalement se préparer à ce que le scrutin donne des résultats décalés de quelques points décisifs, pour certains candidats, par rapport aux dernières enquêtes publiées. Ne pas se fier, par conséquent, à l'ordre d'arrivée annoncé...
Une dernière mise en garde à propos des sondages : il est déraisonnable d'arrêter son choix du premier tour au regard des enquêtes d'intentions de vote du second tour. La pertinence de ces dernières est très relative, tant l'attitude des électeurs au tour décisif dépend de la configuration effective du premier tour.
Aussi accueillera-t-on avec un certain scepticisme les sondages indiquant que Macron serait le candidat qui battrait le plus largement Le Pen. En dépit de son discrédit personnel, Fillon n'obtiendrait pas forcément un résultat moindre tant il est vrai que l'électorat de gauche a plus l'habitude de voter contre le FN en se pinçant le nez.
L'incertitude même qui pèse sur l'issue de la bataille incite à être particulièrement attentif aux dynamiques susceptibles de faire bouger l'électorat dans l'ultime période de campagne. Un gros quart de l'électorat prétend, à quelques jours du scrutin, pouvoir encore «changer d'avis».
Ces électeurs hésitants se répartissent assez largement selon l'influence des différents candidats, mais avec une prime marginale pour certains d'entre eux. Les derniers mouvements relevés par les sondeurs se prolongent souvent, avec parfois une spectaculaire accélération, dans les dernières heures. En 2002, les derniers coups de sonde avaient ainsi révélé une poussée lepéniste conjuguée avec un affaissement jospinien.
Jusqu'à l'attentat des Champs-Élysées dans la soirée du 20 avril, l'électorat semblait plutôt relativement figé, à en juger par les enquêtes réalisées quotidiennement par l'Ifop et OpinionWay. C'est tout juste si elles relevaient une légère tendance ascensionnelle pour Macron ou Fillon.
Le retour du terrorisme sur l'agenda politique est-il de nature à faire à nouveau bouger les lignes?Donald Trump a péremptoirement affirmé, sur Twitter, que cet événement «aura un gros impact sur l'élection présidentielle». Les précédents de ce type incitent plutôt à la prudence.
La compétition est pourtant si serrée, cette fois-ci, qu'un effet même très limité pourrait modifier l'ordre décisif d'arrivée des candidats le 23 avril. A priori, Le Pen et Fillon, les deux candidats les plus à l'aise sur la thématique du terrorisme, devraient être les principaux bénéficiaires de cette hypothétique réaction de l'électorat.
Encore la crainte d'un bouleversement des résultats est-elle susceptible d'avoir, par elle même, des conséquences électorales. Ainsi les calculs de dernière minute peuvent-ils être multiples et finalement s'annuler les uns les autres. Un électorat de gauche effrayé par la possible poussée de Le Pen et Fillon peut ainsi être tenté de se reporter sur Macron par réaction. À électeur malin, malin et demi.
Article publié sur Slate.fr
Contrairement à une croyance répandue, les fins de campagne présidentielle sont loin d'être habituellement décisives. Quelques jours avant le scrutin, les médias soulignent régulièrement qu'un tiers des électeurs peut encore changer d'avis. De leur côté, les candidats en peine conjurent les citoyens de faire mentir les sondages.
Cette effervescence n'empêche pourtant pas les rapports de forces installés antérieurement de se confirmer, à quelques points près, le jour du vote sans bousculer le moins du monde l'ordre d'arrivée des candidats. C'est ce qui s'est produit lors des deux dernières élections présidentielles, en 2012 comme en 2007.
La phase décisive pour l'issue du tournoi élyséen se situe habituellement bien en amont de la dernière ligne droite de la campagne. Cette «cristallisation» opère fréquemment en février, période de l'année à laquelle Jacques Chirac a doublé Raymond Barre en 1988 puis Édouard Balladur en 1995.
Reste évidemment le cas de la présidentielle de 2002, qui est certainement celui qui se rapproche le plus de la configuration actuelle. On le sait, aucune enquête d'intentions de vote n'avait anticipé la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour. Les sondeurs avaient pourtant relevé, en fin de campagne, une dynamique positive pour le candidat du FN et négative pour celui du PS, Lionel Jospin.
Cette instabilité dans les intentions de vote se retrouve très précisément aujourd'hui. C'est au demeurant loin d'être le seul facteur qui incite à penser que les derniers jours qui nous séparent du 23 avril seront inhabituellement décisifs. On peut même distinguer cinq sources d'incertitude qui se conjuguent pour ajouter au mystère de l'issue finale.
Faut-il voter ou s'abstenir? Et, si oui, à qui diable accorder son suffrage? L'électorat apparaît exceptionnellement dubitatif face à cette double question. Élection reine de la vie politique française, la présidentielle est le scrutin traditionnellement le moins boudé. L'abstention au premier tour dépasse rarement les 20% d'électeurs inscrits. Comme par hasard, le record est ici détenu par la présidentielle de 2002 (28,4% d'abstention).
Au cours de la présente campagne, l'indice de participation ne monte que très lentement. Celui de l'abstention reste très élevé (32%) dans le Rolling Ifop alors même que l'intérêt pour la présidentielle des Français est très soutenu.
Cette hésitation à voter se double d'une interrogation persistante sur le choix à effectuer. Le dernière enquête Kantar Sofres montre que seulement 50% des personnes interrogées déclarent avoir fait leur choix et être certaines de n'en point changer. Elles sont 25% à marquer une «nette préférence» mais à «hésiter encore», 12% à «hésiter vraiment» entre plusieurs candidats et 6% à hésiter entre le vote pour un candidat, le bulletin blanc ou l'abstention.
La nouveauté actuelle réside cependant surtout dans la différence de solidité des différents électorats potentiels. Selon cette question, pas moins de 70% de ceux qui ont l'intention de voter pour François Fillon et 63% des électeurs qui se prononcent en faveur de Marine Le Pen sont certains de leurs choix. Ce chiffre stratégique chute à 47% pour Jean-Luc Mélenchon, 44% pour Emmanuel Macron et même 39% pour Benoît Hamon.
C'est l'existence même d'un candidat à cheval sur le clivage droite-gauche, audacieusement posté au centre de l'échiquier politique, qui trouble le plus le jeu présidentiel.
Le jeune et séducteur Macron bénéficie ainsi d'un formidable potentiel électoral: pas moins de 46% des sondés déclarent qu'ils pourraient voter pour lui. La contre-partie de cette attractivité est l'évidente fragilité d'un candidat recueillant bon nombre d'intentions de vote refuge d'électeurs partiellement indécis et toujours susceptibles de le quitter dans l'isoloir.
L'analyse des seconds choix des électeurs produite par Ipsos-Cevipof est révélatrice de la très grande élasticité du public macronien: 56% des électeurs de Fillon citent Macron comme «second choix», de même que 27% de ceux de Hamon, ou encore 21% d'électeurs qui se prononcent en faveur de Mélenchon et enfin 14% de ceux de Le Pen.
Inversement, l'électorat macronien est susceptible de se reporter pour 27% sur Mélenchon, 21% sur Hamon et 19% sur Fillon. Autrement dit, une baisse (ou une hausse) des intentions de vote en faveur de l'ancien ministre de l'Économie redistribuerait les cartes de manière difficilement prévisible.
Une autre singularité de la présidentielle version 2017 est de voir s'affronter deux candidats de gauche aux positionnements politiques trop proches pour que l'un ne souffre pas de la concurrence de l'autre. Hamon et Mélenchon se distinguent certes l'un de l'autre sur nombre de questions –en particulier sur l'Europe– mais ils se situent tous deux dans l'espace découvert à la gauche du Parti socialiste.
Cette proximité idéologique s'est traduite par un impressionnant phénomène de vases communicants dont a fait les frais le candidat désigné par la primaire socialiste. La dynamique qui porte Mélenchon s'est surtout produit au détriment de Hamon, désormais passé en-dessous de la barre des 10% d'intentions de vote.
On ne sait jusqu'où ces transferts peuvent se produire dès lors qu'une partie de l'électorat socialiste devrait tout de même rester fidèle au candidat de son parti. En sens inverse, la possibilité nouvellement entrevue d'une qualification de Mélenchon au second tour peut lui valoir un surcroît de soutiens.
À moins de deux semaines du premier tour, le paysage électoral apparaît rien moins que figé. Là encore, la situation actuelle rappelle la présidentielle de 2002 caractérisée alors par la poussée du FN, dans la dernière période, parallèlement à une baisse des intentions de vote en faveur du PS.
Cette fois-ci, Le Pen et surtout Macron apparaissent sujets à des intentions de vote décroissantes tandis que Fillon est stable, Mélenchon grimpant spectaculairement et Hamon s'écroulant. Rien n'assure pourtant que ces tendances vont se maintenir dans les jours qui viennent. Il reste toutefois peu probable que l'électorat se stabilise compte tenu des caractéristiques atypiques l'offre présidentielle actuelle.
Les électeurs ont encore en mémoire la surprise constituée par l'issue des primaires de la droite comme de la gauche. À chaque fois, le favori des sondages s'est finalement laissé doublé par un outsider, Fillon d'un côté, Hamon de l'autre. Les enquête d'opinion, particulièrement délicates dans ce type de scrutin, avaient tout juste décelé la dynamique qui portait celui qui l'emporta au final.
N'oublions pas non plus que les intentions de vote présidentielles risquent toujours de mal estimer le niveau de certains candidats. Jospin avait ainsi devancé Chirac en 1995 au premier tour alors que toutes les dernières mesures indiquaient un ordre inverse. Georges Marchais avait encore été largement surestimé en 1981.
Cette fois-ci, c'est le cas de Fillon qui suscite le plus d'interrogations. On ne peut nullement exclure l'hypothèse qu'il bénéficie, dans le secret de l'isoloir, d'une sorte de «vote honteux» qui a du mal à s'exprimer pendant la campagne. Et que l'électorat de droite finira pas se résigner à l'appuyer pour garantir l'alternance.
Tout ceci conduit légitimement les citoyens à se défier des chiffres pondus par les sondeurs. En même temps, les rapports de forces régulièrement mesurés et publiés exercent une influence indéniable sur leurs choix. Innombrables sont néanmoins les calculs qui peuvent en résulter. Le «vote utile» peut, selon les cas, se porter aujourd'hui sur Fillon, Macron ou encore Mélenchon. L'incertitude même du résultat global ajoute ainsi encore à la glorieuse incertitude des choix de chacun.
Article publié sur Slate.fr