Les électeurs font la politique mais ils ne savent pas la politique qu'ils font. L'extraordinaire aventure politique d'Emmanuel Macron le conduit désormais sur le chemin d'insolents pleins pouvoirs alors même qu'aucune majorité de Français ne l'a vraiment voulu. L'implacable logique majoritaire du présidentialisme propre à la Ve République profite comme jamais au nouveau chef de l'Etat, crédité par les premières estimations, ce dimanche 11 juin, d'une majorité absolue de 400 députés, voire plus, dans une semains.
Celui-ci a certes réussi, de l'avis général, ses premier pas à l'Elysée, même si la complaisance médiatique qui entoure généralement le vainqueur a ici joué à plein. Mais c'est surtout la décomposition précipitée du système partisan qui permet au mouvement «En Marche!», étape après étape, de s'octroyer les pleins pouvoirs. L'inversion du calendrier électoral (les législatives après la présidentielle) décidée par Lionel Jospin avant 2002 ne pouvait que favoriser le réalignement politique autour d'un homme.
La ratification législative
En bonne logique politique, ce sont les élections législatives qui auraient dû permettre à l'électorat de confirmer ou d'infirmer son accord avec le projet défendu par le nouveau président.
Ce n'est pas précisément ce qui s'est passé. La torpeur démocratique caractéristique des scrutins qui se déroulent dans le sillage d'une élection présidentielle s'est manifestée cette fois-ci avec plus de force que jamais. Un lourd fatalisme a gagné un électorat résigné à donner sa chance, quoi qu'il en pense vraiment, au nouveau chef de l'Etat.
Cet état d'esprit, générateur d'indifférence à l'endroit de l'enjeu législatif, a créé les conditions d'une abstention record sous la Ve République pour ce type de scrutin. Seulement un électeur inscrit sur deux aura participé à ce somnolent premier tour des législatives.
Dans ce contexte de démobilisation générale, les partisans du nouveau président tirent logiquement leur épingle du jeu. Le tout nouveau parti de Macron s'affirme largement comme la première force politique du pays. Avec moins d'un tiers des suffrages exprimés au premier tour, il semble promis à une écrasante majorité absolue de députés dimanche prochain.
La distorsion de la représentation parlementaire par rapport aux résultats électoraux risque ainsi d'être plus spectaculaire que jamais. L'avantage topographique d'une force située au centre de l'échiquier politique explique, pour une bonne part, cet effet d'amplification.
La réserve des électeurs
Et pourtant, l'immense majorité des électeurs ne souhaitent toujours pas –«macronmania» ambiante ou pas– que les partisans du président contrôlent à eux seuls la nouvelle Assemblée nationale. Toutes les enquêtes d'opinion indiquent qu'ils sont très partagés sur l'opportunité de laisser à Macron les moyens de mener librement sa politique.
D'après un sondage Elabe, 55% d'entre eux préféreraient «une majorité de députés favorables» à Macron contre 44% de députés «opposés». L'enquête Ipsos-Cevipof montre que pour 50% des sondés, il est préférable qu'il y ait «une majorité de députés favorables à Emmanuel Macron pour qu'il mène sa politique» mais que 50% préféreraient une majorité adverse «pour qu'il partage le pouvoir».
Interrogés plus précisément sur la perspective d'une majorité absolue de députés favorables à Macron, les électeurs se montrent encore plus circonspects. Seulement 30% d'entre eux (soit à peu près le score de premier tour de la «République en marche») souhaitent que son mouvement dispose de cette majorité absolue selon Kantar-Sofres. Ils sont 27% d'après une étude Louis-Harris-Interactive.
There is no alternative
Toutes ces données prouvent que les partisans du nouveau président seraient fort imprudents d’interpréter leurs performances législatives comme une incontestable ratification populaire de leurs propositions. Si le débat électoral avait véritablement porté sur la réforme du code du travail, la hausse de la CSG ou encore les diverses réformes fiscales envisagées, le parti du président aurait certainement obtenu des résultats plus modestes.
Pour autant, ceux qui n'auront de cesse de souligner la faiblesse du mandat obtenu par le nouvel exécutif devraient aussi songer à la logique profonde de son succès. Les Français ne sont pas ivres de «macronmania» mais ils étaient bien résolus à casser l'ancien système politique.
Le dégagisme restera comme la colonne vertébrale de ce printemps électoral. La droite républicaine et la gauche socialiste ont été clairement rejetés, même si l'ampleur du désastre est différent pour LR et le PS. L'ambiguïté de ces deux partis vis-à-vis du nouveau président ne pouvait que leur porter gravement préjudice.
La puissance du centre macronien est enfin et surtout liée à l'influence de formations extrêmes qui suscitent l'hostilité d'une large majorité d'électeurs. Le Front national et la «France insoumise» restent très influents dans les catégories populaires –qui ont au demeurant peu voté ce dimanche, ce qui explique leur recul. Mais aucune de ces deux forces ne peut prétendre à une vocation majoritaire.
Article publié sur Slate.fr
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