C'était il y a sept mois, c'était il y a un siècle. La «primaire de la droite et du centre» donnait le coup d'envoi d'un marathon électoral qui s'est enfin achevé ce dimanche 18 juin 2017. Huit jours de vote (primaire de droite puis de gauche, présidentielle, législatives) pour rendre le paysage électoral français totalement méconnaissable.
À la fin, il n'en reste plus qu'un: Emmanuel Macron. Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, François Hollande, Manuel Valls, Arnaud Montebourg et tant d'autres ont été successivement les victimes du gigantesque chamboule-tout de saison.
Le nouveau monde qui propulse à l'Assemblée nationale une écrasante majorité de fidèles du président élu le 7 mai ne naît pourtant pas dans une atmosphère de liesse euphorique. C'est bien plutôt le fatalisme et la résignation des électeurs face à la stupéfiante nouvelle donne qui l'emporte, comme en témoigne le record absolu d'abstention enregistré au second tour de ces législatives (environ 57% des inscrits).
Soucieux de revenir à une lecture classique des institutions de la Ve République, Macron promettait de présider avec distance et de ne point céder aux délices du pouvoir personnel.
La logique d'une position de force institutionnelle qui tient presque exclusivement à sa propre réussite crée pourtant les conditions d'un exercice du pouvoir plus concentré qu'il ne l'a jamais été. Le nouveau parti du président s'octroie, avec son allié du MoDem, une large majorité d'au moins 60% des sièges, dont une majorité absolue pour LREM.
Cette situation a peu de précédents. A l'issue des élections législatives de 1958, pourtant caractérisées par un raz-de-marée gaulliste, l'UNR (parti soutenant le général de Gaulle) ne disposait que d'un peu plus d'un tiers des sièges de l'Assemblée. En 1981, la «vague rose» soulevée par l'élection à l'Elysée de François Mitterrand envoya au Palais-Bourbon 58% de députés socialistes.
Non seulement, cette fois-ci, le seul parti présidentiel écrase ses rivaux mais il se caractérise par une nouveauté et une verticalité offrant tous les pouvoirs au chef de l'Etat. Même triomphant, le PS était traversé de courants qui limitaient les marges de manœuvre du président, dont la motion n'avait par exemple recueilli «que» 45% des voix lors du congrès de son parti deux ans plus tôt, à Metz. Il n'en va pas de même avec une formation composée de néophytes ayant signé par écrit l'engagement de voter les lois mettant en œuvre le projet présidentiel.
Le cercle de la raison missionné
Pour la première fois, une élite technocratique a les pleins pouvoirs pour mener la politique qui lui est chère. Le «bloc bourgeois» l'a emporté et il ne pourra faire valoir aucune excuse si le succès n'est finalement pas au rendez-vous de ses choix qu'il croit éclairés.
La compétition droite-gauche des partis de gouvernements les contraignait à être attentifs à des clientèles électorales hostiles, pour des raisons au demeurant diverses, au libéralisme économique. Cette épée de Damoclès de l'alternance ne pèse plus sur un centre macronien désormais libre de poursuivre les «réformes» imposées par la loi d'airain de la «compétitivité».
C'est ainsi que le nouveau pouvoir peut prendre le risque de mettre en œuvre des réformes éminemment impopulaires. On songe ici au démantèlement du code du travail. Chacun aura remarqué que le pouvoir s'est bien gardé d'abattre ses cartes, sur ce dossier, avant l'arbitrage du corps électoral. Cette ruse prouve à la fois qu'il est conscient de forcer ici le consentement commun mais aussi que telle est bien son intention.
Une représentation faussée
Tout ceci risque fort de nous ramener, à plus ou moins longue échéance, à la vieille problématique de l'opposition entre «pays légal» et «pays réel», aussi contestable que soit cette dichotomie facile.
La rénovation politique promise par le mouvement En marche! aurait théoriquement pu combler le fossé qui s'est creusé entre les citoyens et leurs représentants politiques. Le moins qu'on puisse dire est que la réalité est différente. Le surgissement du mouvement macronien dans les palais de la République permet certes un rajeunissement et un renouvellement importants de nos élites politiques. Mais celles-ci demeurent tout aussi peu représentatives de la société française qu'auparavant.
Une écrasante majorité des candidats de la «République en marche» sont issus des classes supérieures (69%), les catégories populaires demeurant aussi peu représentées (9%) que dans les autres formations politiques. Le parti macronien permet assurément aux élites du secteur privé d'être un peu mieux représentées mais il ne résout pas la question décisive de l'exclusion de l'engagement politique des moins bien lotis socialement.
Le parti présidentiel d'aujourd'hui est encore moins capable que le parti gaulliste d'avant-hier ou le parti socialiste d'hier de faire remonter vers l'exécutif les préoccupations populaires. Dans la démocratie médiatique d'aujourd'hui se met ainsi en place un dangereux face à face entre le président et l'opinion, sans les médiations qui faciliteraient la résolution des futurs conflits.
La monochromie de la nouvelle Assemblée nationale n'aidera pas. «Il faudra trouver un moyen de scénariser une pluralité de tendances entre nous pour qu’il y ait un semblant de débat», confiait cocassement avant le second tour un candidat «en marche» proche de la victoire. «Il ne faudrait pas que le seul débouché pour les idées soit la rue», ajoutait-il non sans lucidité.. Dans un premier temps, le pouvoir n'a guère de souci à se faire. Même les syndicalistes radicaux de «Solidaires» ne se font pas d'illusion sur les possibilités d'organiser une mobilisation cet été contre la réforme du code du travail.
Très rapidement, pourtant, les anticorps d'une société française loin d'être convertie au libéralisme économique pourraient pourtant se rappeler au bon souvenir des nouveaux gouvernants.
Début ou fin de cycle
Tout sera, au fond, question de perspective. L'aventure macronienne signe-t-elle l'avènement d'une nouvelle ère politique ou bien n'est-elle que le produit de la décomposition politique en cours? Constitue-t-elle un début ou une fin de cycle?
Après tout, LREM peut être vu comme le stade final de l'UMPS, l'achèvement d'un processus de rapprochement de la droite républicaine et de la gauche socialiste sur fond d'injonctions européennes et de contraintes mondialistes. Comme une dernière tentative de l'ancien monde de résoudre les problèmes du nouveau...
On peut aussi, bien entendu, lire la saga macronienne comme le premier épisode d'une nouvelle histoire d'optimisme français. La conjoncture économique, à nouveau souriante, sera peut-être complice des succès du nouveau pouvoir.
Encore les indices économiques ne peuvent-ils tout résoudre. Leur éventuelle bonne humeur ne suffira sans doute pas à surmonter les fragilités sociales et politiques que le président Macron en majesté ne pourra longtemps dissimuler.
Article publié sur Slate.fr
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