«Tout dire avant pour tout faire après.» Ce slogan volontariste a fait florès, à droite, pendant la pré-campagne présidentielle. Nicolas Sarkozy ou Bruno Le Maire défendaient l'idée de présenter précisément un programme de réformes aux Français pour avoir la légitimité de l'appliquer après les élections. François Fillon était, lui aussi, partisan d'une stratégie du même ordre.
Contraint de naviguer entre la gauche et la droite, Emmanuel Macron ne pouvait s'enfermer dans un mot d'ordre aussi impératif. Le candidat En Marche! n'en a pas moins bâti sa dynamique de campagne sur la promesse répétée d'un changement profond en esquissant un projet social-libéral.
Or cette élection présidentielle atypique génère un paradoxe lourd de conséquences pour Emmanuel Macron, bien placé pour l'emporter largement le 7 mai. Ce scrutin s'annonce à la fois comme un succès personnel extraordinaire pour l'ancien conseiller de François Hollande à l'Elysée et comme une victoire politique de piètre qualité pour le candidat En Marche!.
Un premier tour de faible adhésion
Les deux exceptions concernent les scrutins de 1995 et 2002. Dans le premier cas, Jacques Chirac avait dû se contenter de 20,84% des voix au premier tour. On sait qu'il perdra le pouvoir deux ans plus tard. En 2002, c'est déjà contre le FN que le même Chirac l'emporta après avoir rassemblé pas plus de 19,9% des suffrages exprimés au premier tour. Privé de mandat clair, ce second quinquennat présidentiel ne fut guère plus brillant que le précédent.
Or les 24% d'électeurs qui ont glissé un bulletin de vote Macron dans l'urne au premier tour sont loin d'adhérer tous à son projet politique. L'enquête réalisée le jour du vote par l'Ifopmontre que cet électorat est celui pour lequel «la capacité du candidat à être présent au second tour» a été le plus «déterminant» (78%) et «le programme et les projets du candidat» le moins (71%).
L'autre enquête réalisée le jour du vote, cette fois par OpinionWay, confirme qu'une partie notable des électeurs de Macron étaient mus par des considérations d'ordre tactique ou stratégique. Près de la moitié (45%) d'entre eux disent avoir «voté utile en tenant compte des chances de chaque candidat», une forte proportion qui ne se retrouve dans aucun autre électorat.
Au final, seulement 65% de ceux qui ont voté Macron au premier tour souhaitaient «qu'il soit élu président de la République». Ces macronistes convaincus ne représentent, dés lors, que 15,6% des suffrages exprimés le 23 avril, soit pas plus de 12% des électeurs inscrits. On admettra que c'est bien peu comme soutien populaire pour légitimer un projet de réformes.
Un second tour de forte opposition
Le faible mandat accordé par les électeurs à Macron au premier tour se double d'un second tour dominé par l'opposition à Marine Le Pen. Soucieux de la cohérence de son projet, le candidat En Marche! n'a pas voulu l'amender entre les deux tours. Mais il a bien été obligé d'admettre que la majorité d'électeurs qui devraient l'envoyer à l'Elysée le 7 mai déborde très largement le cadre de ses supporters.
Macron l'a enfin reconnu le 1er mai à Paris:
«Je sais que beaucoup voteront pour moi pour ne pas avoir le Front national. Je veux leur dire ici mon respect, et le fait que j'ai pleinement conscience que le 7 mai, je fais plus que défendre un projet politique: je porte le combat pour la République et pour la démocratie libre».
Pour autant, Macron a refusé toute concession qui aurait donné un contenu à ce large rassemblement indispensable à son élection. Il a ainsi rejeté l'idée d'abandonner la réforme du code du travail par voie d'ordonnance, suggérée par Jean-Luc Mélenchon, alors même que ce projet va plus loin qu'une loi El Khomri massivement impopulaire.
Une victoire large de Macron ne signifierait nullement une ratification de son projet sur lequel il a, au demeurant, assez peu fait campagne dans l'entre-deux-tours, donnant une certaine priorité aux cérémonies mémorielles. Même avec 60% des voix au soir du 7 mai, le candidat élu ne pourra honnêtement soutenir qu'une majorité absolue d'électeurs a approuvé son projet politique.
La dernière enquête Ipsos montre que seulement 40% de ceux qui ont l'intention de voter Macron au second tour «souhaitent vraiment le voir élu» contre 56% qui estiment qu'il «vaudrait mieux que ce soit lui plutôt que Marine Le Pen». Ce sondage attribuant 60% d'intentions de vote à l'ancien ministre de l'Economie, on peut en conclure que pas plus de 24% des votants du 7 mai pourraient être comptés comme de fervents partisans de l'heureux élu!
Le troisième tour législatif décisif
Aussi le nouveau président devra-t-il encore franchir une ultime épreuve électorale pour pouvoir appliquer son programme: les élections législatives de juin. C'est à ce moment-là que les Français pourront enfin arbitrer entre des orientations politiques antagonistes.
Car force est de constater que cette élection présidentielle, focalisée autour des personnalités et des «affaires», obnubilée par la menace du FN, a laissé au second plan les projets des uns et des autres. C'est sans doute la raison pour laquelle une écrasante majorité de sondés (habituellement plus des trois-quarts) ont régulièrement jugé cette campagne de «mauvaise qualité» selon OpinionWay.
Encore l'épreuve législative risque-t-elle d'être placée sous le signe d'une fâcheuse confusion. Le risque d'éparpillement des suffrages sera maximal avec une compétition qui devrait opposer, dans les plupart des circonscriptions, pas moins de cinq forces d'influence globalement équivalente: «France insoumise», PS, «En Marche!», LR et FN.
Le vote en faveur des candidats adoubés par Macron aura incontestablement valeur d'adhésion claire à son projet dés lors que ceux-ci se seront engagés, par écrit, à en défendre les mesures à l'Assemblée nationale.
Bien malin est celui capable d'anticiper le résultat du futur vote législatif. L'effet de souffle créé par l'élection de Macron se fera inévitablement sentir. Mais il sera compensé par les réactions de défense d'électeurs, de droite comme de gauche, attachés à leurs propres idées. Avec l'hypothèse non négligeable que cette équation complexe aboutisse à une Assemblée sans majorité gouvernementale claire.
Au final, cette interminable course au pouvoir du cru 2017 se sera jouée en pas moins de huit dimanches électoraux: deux tours de primaire de droite, deux tours de primaire de gauche, deux tours de présidentielle et deux tours de législatives. Que les amateurs de suspense ne baissent pas la garde: l'incertitude sur l'issue finale de la bataille planera bien au-delà du 7 mai.
Article publié sur Slate.fr
Commentaires