J'avoue avoir eu du mal à prendre Emmanuel Macron au sérieux. La prétention de ce premier de la classe à conquérir la présidence de la République sans avoir jamais exercé la moindre fonction élective, et sans parti, pouvait sembler cocasse. Le grand prix de l'Élysée n'est pas précisément une affaire d'amateurs inspirés ou de débutants talentueux.
Ses performances sondagières ne sauraient pas plus impressionner l'observateur: une personnalité à cheval sur le clivage-droite gauche bénéficie classiquement d'une enviable popularité qui s'effondre tout aussi classiquement à l'épreuve de la bataille électorale. On ne terrasse pas ses adversaires politiques à coup de unes complaisantes d'hebdomadaires.
Début de cristallisation
Tout ce qui vient d'être écrit reste pertinent. Et pourtant, force est de constater un début de cristallisation politique autour de Macron. L'indicateur le plus pertinent est sans doute ici celui de l'assistance à ses meetings. Les 10.000 personnes rassemblées à Paris le 10 décembre sont finalement moins impressionnantes que les 2.500 réunies à Clermont-Ferrand le 7 janvier.
Le lendemain, Manuel Valls n'attirait que 200 personnes à Liévin pour son premier meeting de l'année. Son directeur de campagne, Didier Guillaume, le reconnaît:
«Je ne fais pas de langue de bois: Macron est le seul homme politique aujourd'hui en France qui peut mettre 8.000 personnes dans une salle. Aujourd'hui, on ne les fait pas.»
Les dernières intentions de vote sont également impressionnantes. L'enquête Elabe lui laisse même espérer la qualification au second tour face à François Fillon selon certaines configurations de candidatures (absence de François Bayrou et victoire d'Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon à la primaire socialiste).
Fraîcheur et espace
Le manque d'expérience et de galons électoraux se retourne en avantage dans le contexte actuel de profond discrédit de la classe politique. L'aspiration à son renouvellement est tel qu'un nouveau venu se trouve vite auréolé d'une écoute et d'une espérance enviables.
Macron peut d'autant mieux tirer parti de cet atout que son expression dégage une indéniable fraîcheur. L'invitation à «penser printemps» –l'expression est du philosophe Alain– lancée à Clermont-Ferrand recouvre joliment un discours libéral de gauche qui tranche, par son optimisme, avec la morosité ambiante. Macron a significativement séduit l'architecte de gauche Roland Castro qui le perçoit comme le moteur d'un «choc institutionnel».
L'ancien ministre de l'Économie n'a toujours pas exposé un programme complet, se contentant de lancer ici et là quelques propositions. Pour autant, les projets ficelés auxquels s'astreignent les aspirants à l'investiture socialiste se heurtent au scepticisme d'électeurs à qui on ne l'a fait plus.
La méthode Macron est sans doute plus efficace à défaut d'être plus honnête. Sur la santé, par exemple, le candidat se garde bien d'un exposé global de ses intentions mais fait miroiter une pincée d'engagements séduisants comme celui de «prendre en charge à 100% l’optique, l’audition et le dentaire».
Il en résulte une sorte de populisme chic plutôt en phase avec l'état d'esprit d'une bonne partie du corps électoral et qui pourrait même mordre sur l'électorat lepéniste. La configuration qui se dessine ouvre un bel espace potentiel au candidat «en marche». L'orientation très droitière et austéritaire de François Fillon lui laisse d'abord l'espoir d'agréger un électorat centriste et modéré.
Une victoire d'un candidat de la gauche socialiste à la primaire de gauche, nullement exclue, permettrait à Macron d'attirer à lui le centre-gauche. En toutes hypothèses, une polarisation pourrait bien intervenir, à gauche, entre lui et Mélenchon. Ce dernier en fait précisément le pari:
«En réalité, le vrai choix des électeurs du PS, c’est de trancher entre l’orientation gouvernementale amplifiée, telle que la porte M. Macron, et la tradition de l’humanisme émancipateur de la famille culturelle, que j’incarne.»
Argent et complicités
D'autres atouts dont dispose Macron sont plus triviaux mais pas moins importants. Le premier est celui de n'avoir guère de soucis pour financer sa campagne électorale. L'ancien banquier de Rothschild est personnellement moins fortuné qu'on ne le croit, mais a su et saura lever les fonds nécessaires.
«Depuis le lancement d'En Marche!, Emmanuel Macron s'est constitué un trésor de guerre de 3,9 millions» d'euros, nous apprend l'Obs. «Macron est le candidat du business, il a été adoubé par la communauté économico-financière», confie à cet hebdomadaire Patricia Palme, ancienne sarkozyste, cofondatrice du Premier Cercle des Donateurs de l'UMP, et désormais ardente macroniste.
L'ancien conseiller de François Hollande dispose enfin de précieuses complicités à gauche. Le président de la République lui-même, qui semble en vouloir d'abord à Manuel Valls, pourrait être tenté de favoriser Macron. «Je suis convaincu que François Hollande finira par le soutenir, car il est son fils spirituel», affirme l'ancien conseiller de l'Élysée Aquilino Morelle.
«Emmanuel Macron, c'est moi», avait curieusement confié Hollande aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans le fameux livre Un président ne devrait pas dire ça. «C'est un garçon qui a une certaine sensibilité sur le plan de l'économie, mais il a aussi les fondamentaux politiques de la gauche», ajoutait le chef de l'État dans un parallèle avec sa propre identité.
On aura aussi remarqué la complaisance de Ségolène Royal envers Macron qui lui rappelle sa propre candidature présidentielle par sa tentative à répondre à «un besoin de respiration et d'invention du futur». Nul doute que d'autres responsables socialistes regarderaient du côté de ce candidat s'il devait confirmer son influence, surtout dans l'hypothèse où Valls serait battu à la primaire.
Demeure une inconnue de taille: l'orientation libérale de gauche peut-être être ratifiée, aujourd'hui en France par ceux qui votent? Plus Macron progressera et plus il sera exposé. L'électorat ne sera plus bercé par sa petite musique mais prendra connaissance de ses positions réelles. L'ancien ministre, qui veut poursuivre dans la voie de la baisse du coût du travail et de la libéralisation de l'économie, peut être vu comme l'incarnation d'un hollandisme poussé jusqu'au bout. Cela n'est pas automatiquement gage de victoire.
Article publié sur Slate.fr
Hamon vainqueur de la primaire Ps: un espace se libère pour Macron
Rédigé par : philbr | 30 janvier 2017 à 09h02
"se heurtent au scepticisme d'électeurs à qui on ne l'a fait plus." : à qui on ne LA fait plus !
Rédigé par : Raph | 09 février 2017 à 15h43