Quel est le point commun entre un jeune islamiste, un jeune identitaire et un jeune réactionnaire? Ils sont jeunes, répondra-t-on fort pertinemment. «Les jeunes recrues des cercles salafistes, du Front national ou de la Manif pour tous, se posent les même questions», ajoute Alexandre Devecchio.
Au-delà de leurs différences idéologiques, ces «nouveaux enfants du siècle» (1) auraient plus en commun qu'ils ne le croient et communieraient sans le savoir dans un même rejet du «discours fait de novlangue molle et de dureté comptable des politiques contemporaines».
La thèse est audacieuse, pour ne pas dire scandaleuse. Le jeune responsable du «FigaroVox» la développe d'une écriture bouillonnante, parfois inspirée, mais souvent surchargée. Le propos de ce livre, qui tient plus de l'essai que de l'enquête, est encore desservi par le manque de rigueur qui conduit l'auteur à ne pas sourcer précisément nombre de citations convoquées à l'appui de sa démonstration.
Trois générations
Cet ouvrage fort imparfait suscite néanmoins la réflexion. Passons rapidement sur la «génération Dieudonné» dans laquelle Devecchio range pêle-mêle jeunes des banlieues en sécession, salafistes et djihadistes. Non seulement l'addition met mal à l'aise, mais l'auteur, fils d'immigré portugais, a beau avoir vécu en Seine-Saint-Denis dans sa jeunesse, ce n'est pas le sujet qu'il maîtrise le mieux.
Le renouveau identitaire juif se traduit même, relève-t-il, par la multiplication de services volontaires effectués dans l'armée israélienne. Devecchio ose le parallèle: «Ces jeunes français qui disent partir pour combattre en Israël ne sont-ils pas en consonance avec les djihadistes qui s'envolent pour la Syrie?»
La «génération Zemmour» se retrouve chez les militants «identitaires» mais aussi au Front national. Un parti qui attire désormais, et pas seulement électoralement, une fraction importante de la jeunesse. Le phénomène se repère jusque dans les travées de Sciences Po. L'auteur rapporte le témoignage de Davy Rodriguez qui a rejoint le FN en septembre 2015 après deux années au Front de gauche. Fils d'immigré ayant vécu en banlieue, il est entré dans la prestigieuse école par la voie réservée aux élèves de ZEP...
C'est l'unique députée FN qui fait figure d'héroïne de cette génération identitaire. «Marion Maréchal-Le Pen est la Daniel Cohn-Bendit de son époque», s'enthousiasme Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles. La députée du Vaucluse ne récuse, par ses propos, cette ambition comme en témoigne sa profession de foi devant l'université d'été du diocèse de Fréjus-Toulon en août 2015. «Nous sommes la contre-génération 68. Nous voulons des principes, des valeurs, nous voulons des maîtres à suivre, nous voulons aussi un Dieu».
Exigence de limites
«Là où, à la veille de Mai 1968, l'Internationale situationniste invitait à jouir sans entraves, les Veilleurs, au lendemain de leur propre printemps, demandent à chacun de consentir à voir ses désirs circonscrits par la nature ou par la société».
Cette exigence de limite, qui fait écho à la frontière des identitaires, est portée par des groupes minoritaires mais à forte capacité de mobilisation comme on l'a vu lors de la «Manif pour tous». Ces courants conservateurs, qui eux aussi prétendent à une activité «métapolitique», pèsent désormais sur la droite classique. On sait que «Sens commun», issue de la protestation contre le mariage homosexuel, s'est investie chez les Républicains, et que ses militants ont fortement contribué au succès de François Fillon à la primaire de la droite et du centre.
La véritable «ligne de partage» d'aujourd'hui séparerait «ceux qui rêvent déjà de l'individu ubérisé et ceux qui croient encore à l'homme enraciné»
Enracinement contre ubérisation
A en croire Devecchio, les générations Dieudonné, Zemmour et Michéa auraient en commun une même aversion pour la «civilisation libérale-libertaire» qui trouverait en Emmanuel Macron son meilleur défenseur actuel. Au final, la véritable «ligne de partage» d'aujourd'hui séparerait «ceux qui rêvent déjà de l'individu ubérisé et ceux qui croient encore à l'homme enraciné». Islamistes, identitaires et néo-réactionnaires se retrouvent en effet pour célébrer les appartenances gommées par la loi générale du marché.
L'auteur inscrit la révolte de ces jeunesses disparates dans la même «injustice générationnelle» de ceux qui subissent une triple crise, économique, écologique et identitaire. La jeunesse «refuse non seulement la précarité matérielle, mais aussi, fait nouveau, la précarité morale et identitaire», affirme Arnaud Bouthéon, co-fondateur de Sens commun. Aux difficultés matérielles de l'existence, s'ajouterait une «peine à vivre» produisant elle-même un «besoin de transcendance».
Celui-ci peut effectivement se traduire en fanatisme religieux, en crispation identitaire ou en mystique conservatrice. Les jeunesses décrites par Devecchio, avides de «retour à la tradition», ont bigrement tendance à regarder loin dans le passé. Les islamistes se vivent au temps des Croisades et du Djihad. Les identitaires se voient en héritiers de Charles Martel et en champions de la «Reconquête». Les réactionnaires célèbrent Jeanne d'Arc. «Ces imageries ont en commun d'être médiévales, comme si ces jeunesses, malgré leurs profondes différences, aspiraient à vérifier la prédiction d'un nouveau Moyen Age», relève l'auteur.
Ces retours en arrière désirés sont assez effrayants. Tout comme l'hypothèse d'un affrontement entre les trois jeunesses (comprendre l'islamiste contre les deux autres) qu'évoque Devecchio. Fort heureusement, son tableau d'une «génération fracturée» est gravement incomplet. Au rang des minorités agissantes, l'auteur oublie tous ceux qui inventent des nouvelles manières de vivre et de travailler selon une inspiration écologique qui relève elle aussi, à sa manière, d'une redécouverte des «limites».
Et toutes ces jeunesses militantes ne sauraient faire oublier l'écrasante majorité qui tente de se dépatouiller, tant bien que mal, dans une crise interminable et multiforme. Les séductions consuméristes résistent vaillamment aux langueurs du pouvoir d'achat. Mais il est vrai que ces contradictions et tout ce mal de vivre aiguisent les aspirations à un retour de sens, pour le meilleur comme pour le pire.
Le nihilisme de la postmodernité engendre d'étranges figures, et parfois des monstres. Devecchio cite ces phrases lourdes de sens du philosophe Philippe Muray, un an après le 11 septembre: «Chers Djihadistes, nous triompherons de vous. Nous vaincrons car nous sommes les plus morts».
(1) Alexandre Devecchio, « Les Nouveaux enfants du siècle », Editions du Cerf, 2016, 20 €.
Article publié sur Slate.fr
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