L'onde de choc de la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis ne tardera pas à se faire sentir dans la campagne présidentielle française. A moins de six mois de l'élection du chef de l'Etat, le succès d'un candidat qui avait contre lui la quasi-totalité des médias et l'essentiel de l'establishment sonne comme un sévère avertissement. Dans nos démocraties fatiguées et désabusées, l'électorat ne craint pas d'agir d'une manière considérée comme déraisonnable par ceux qui détiennent le pouvoir depuis tant d'années.
Après le succès, tout aussi inattendu, du «Brexit» en Grande-Bretagne le 23 juin 2016, le triomphe américain de Trump est une nouvelle preuve de la puissance de la préoccupation identitaire dans les démocraties occidentales. Dans les deux cas, le désir des peuples de reprendre le contrôle de leur pays, perçu comme menacé tant par les migrations que par le libre-échange, s'exprime avec force.
Ce «souverainisme», qui se manifeste dans le cas de Trump par un violent rejet de l'immigration et par la défense du protectionnisme économique, trouvera sa traduction en France. Les thématiques identitaires, déjà dopées par les effets combinés de la crise migratoire et de la menace terroriste, s'annoncent plus que jamais dominantes dans la course à l'Elysée.
Le pire est parfaitement possible
L'élection de Trump ramène brutalement sur terre tous ceux qui tirent des plans sur la comète en se basant sur des sondages qui ont spectaculairement failli
L'élection surprise de Trump ramène brutalement sur terre tous ceux qui tirent des plans sur la comète en se basant sur des sondages qui ont spectaculairement failli. C'est la deuxième fois que les enquêtes préélectorales sont prises en flagrant délit d'erreur de mesure.
On se souvient que le maintien dans l'Union européenne du Royaume-Uni était prévu dans la plupart des enquêtes d'intentions de vote. Le succès du Brexit au référendum ne s'explique pas par un revirement de dernière heure de l'électorat puisque deux sondages réalisés le jour même du vote concluaient au «remain».
La même mésaventure est survenue pour les sondeurs aux Etats-Unis. Sur la base de la totalité des dernières enquêtes, le New York Times estimait les chances de succès d'Hillary Clinton à 84% et l'expert Nate Silver à 72% à la veille du scrutin. La tendance s'est spectaculairement renversée pendant la nuit électorale. Deux heures après le début du dépouillement, la probabilité d'une victoire de Clinton chutait de plus de 80% à 50%, selon l'estimation en temps réel du New York Times, pour ensuite plonger inexorablement.
Comme dans le cas britannique, c'est la fiabilité même de l'instrument qui est en cause. Il existe apparemment un «vote caché», politiquement transgressif, que les sondeurs ont le plus grand mal à débusquer. Cette faiblesse majeure, dans un contexte de bouleversement des équilibres électoraux, risque de frapper également la France malgré la qualité de notre expertise sondagière.
Seule candidate à l'élection présidentielle à avoir déclaré son soutien à Trump, Le Pen s'est empressée de le féliciter pour son triomphe. La dirigeante d'extrême droite se sent pousser des ailes après le succès du Brexit, qu'elle avait chaudement salué, et avant la possible victoire de l'extrême droite à l'élection présidentielle autrichienne prévue en fin d'année.
La voici portée par une puissante vague internationale de réaction identitaire qui dément son isolement. A s'en tenir aux déclarations publiques, Le Pen ferait d'ailleurs presque figure d'aimable démocrate gauchisante par rapport à l'emporté et ultra-droitier Trump...
Une nouvelle donne à droite
Le succès du milliardaire américain constitue une divine surprise pour Nicolas Sarkozy. Si celui-ci s'était bien garder d'apporter son soutien au sulfureux candidat républicain, la manière dont celui-ci a réussi à déjouer tous les pronostics ne peut que galvaniser un ancien président français qui semblait en perdition.
Depuis cette nuit d'élection, il devient plus difficile de se gausser des outrances verbales d'un «Sarko» promettant une «double ration de frites» aux enfants musulmans à la cantine des écoles. S'il parvient à ramener aux urnes de la primaires un électorat populaire sensible aux thèmes de la droite identitaire, ce qui est loin d'être assuré, Sarkozy peut encore espérer l'emporter.
Alain Juppé incarne presque parfaitement l'homme raisonnable, chéri de l'establishment, qu'un électorat en colère pourrait avoir envie de déboulonner
La partie s'annonce ainsi plus délicate pour Alain Juppé. L'ancien premier ministre de Jacques Chirac incarne presque parfaitement l'homme raisonnable, chéri de l'establishment, qu'un électorat en colère pourrait avoir envie de déboulonner. Son «identité heureuse» est moins que jamais en phase avec les tendances de l'opinion.
A l'inverse, sa stature d'homme d'Etat pourrait constituer un atout de poids dans un contexte international devenu très inquiétant avec un président américain pour le moins imprévisible.
Une fausse bonne nouvelle pour Hollande
A gauche, l'effet de souffle de la surprise Trump peut être contradictoire. Les dirigeants socialistes ne manqueront pas d'exploiter l'événement américain pour conjurer la gauche de se rassembler autour du président sortant. Jean-Christophe Cambadélis n'a pas tardé à lui intimer l'ordre de cesser ses « enfantillages irresponsables ».
Cela fait maintenant plusieurs mois que le premier secrétaire de PS assure que Le Pen peut gagner la présidentielle, comptant bien utiliser ce repoussoir pour regonfler la candidature de François Hollande. La menace apparaissant désormais plus réelle, ce chantage pourrait devenir plus efficace.
Encore le président profondément discrédité qu'est devenu Hollande aura-t-il le plus grand mal à profiter de ce nouveau contexte. Incarnation d'une gauche molle exagérément respectueuse des intérêts de l'establishment économique et largement insensible aux préoccupations identitaires, l'hôte de l'Elysée n'a pas précisément le profil d'un opposant efficace au Front national.
Un hypothétique second tour l'opposant à Hollande serait même la configuration la plus favorable à une victoire de Le Pen. Une partie de l'électorat populaire de droite, notamment celui qui a été chauffé à blanc par Sarkozy, pourrait préférer la candidate frontiste au représentant de la gauche. Au final, le succès de Trump pourrait bien contribuer à placer la prochaine présidentielle encore plus sous le signe d'un affrontement final entre la droite et le FN.
Article publié sur Slate.fr
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