C’est encore une leçon que François Hollande a retenu de la carrière politique de François Mitterrand. Un président de la République ne se fait par réélire en brandissant l’étendard de son propre camp. Bénéficiaire de la rente de situation élyséenne, il doit au contraire tendre à l’incarnation du pays tout entier.
L’ancien chef de l’État avait excellé dans cet exercice en battant campagne, en 1988, sous l’œcuménique bannière de la «France unie». Bien des socialistes en avaient été fort marris, à l’époque, mais un éclatant succès électoral fut au rendez-vous.
Parti raisonnable contre Parti mécontent
Le contexte de la bataille présidentielle de 2017 s’annonce certes totalement différent de celui de 1988. Le chef de l’État ne profite pas de la perversité propre à une «cohabitation» institutionnelle avec son principal opposant politique comme alors. Plus encore, l’influence majeure de l’extrême droite bouleverse aujourd’hui les cartes du jeu électoral.
Au traditionnel clivage droite-gauche se superpose désormais une opposition fondamentale entre partisans et adversaires de la vision du monde développée par le Front national. Cette polarité peut même devenir dominante dés lors que Marine Le Pen est donnée en tête du premier tour de l’élection présidentielle par les sondages d’intentions de vote.
Dans ce nouveau paysage politique, le «Parti raisonnable (PR)» affronte le «Parti mécontent (PM)» (le lecteur est prié de saisir la distance ironique de ces étiquettes). Du côté de ce dernier, les choses sont assez claires. Le FN occupe l’espace électoral du PM d’une manière si hégémonique qu’on ne voit guère de concurrence sérieuse qui puisse ici le menacer.
Le Front mariniste est, semble-t-il en voie de régler le problème Jean-Marie Le Pen, un mécontent du Parti mécontent, même si cette tâche fut exécutée de manière plutôt brutale. La crise des réfugiés le favorise. Le PM de gauche, au rebours, peine toujours terriblement à trouver une cohérence et un chef de file incontesté.
Qui incarnera le PR ?
Pour ce qui est du Parti raisonnable, les choses sont infiniment moins simples. Son incarnation sera l’objet d’une joute politique décisive. Qui saura le mieux être le porte-drapeau de la «responsabilité» européenne (tout en parlant de «l’âme de la France»), du «sérieux» économique (bien entendu socialement tempéré) ou encore de «l’ouverture» au réfugiés (avec de la fermeté pour le reste des flux migratoires)?
Le président Hollande, sa dernière conférence de presse en témoigne, se porte clairement candidat pour ce rôle. Sa manière d’aborder la réforme du code du travail est symptomatique: d’abord offrir «plus de souplesse aux entreprises», mais en ayant tout de même le souci de protéger au minimum les salariés.
On comprend que des libéraux réalistes puissent soutenir aujourd’hui l’ancien candidat socialiste à l’Elysée. Hollande n’a pas répété, cette fois-ci, sa profession de foi (au demeurant peu pratiquante) de la conférence de presse du 16 mai 2013: «Je suis socialiste».
Il s’est centré sur ses choix «pour la France» et a semblé regarder de haut cette misérable gauche française, en proie à de coupables divisions. Avec cet avertissement en forme de menace: «La dispersion, c’est la disparition». Avis aux écologistes et autres non alignés qui ne doivent pas rêver aux douceurs d’une représentation proportionnelle...
L’avantage institutionnel de Hollande
De part sa position institutionnelle, Hollande dispose d’un indéniable avantage dans cette compétition pour prendre la tête du PR. Non seulement, il est le président sortant, avec tous les avantages symboliques et médiatiques liés à ce statut, mais il a enfin réussi, s’accordent à dire les observateurs du microcosme, à «faire président».
Dans le storytelling dominant, les attentats de janvier 2015 auraient eu le mérite de «présidentialiser» l’image d’un président jusqu’alors quelque peu déconsidéré. Ses initiatives militaires, ici ou là, sont également portées au crédit de sa capacité à endosser le costume présidentiel. S’épanouissant dans ses fonctions régaliennes, Hollande serait enfin pris au sérieux par l’opinion, à défaut d’être aimé.
Son recentrage idéologique est l’autre vecteur de sa capacité potentielle à incarner le PR au moment décisif. Hollande s’est calé au «centre» avec une puissante aile libérale en la personne d’Emmanuel Macron mais sans se couper de l’électorat socialiste qui souhaite enfin qu’il soit à nouveau candidat en 2017.
Espoir de Juppé et inconfort de Sarkozy
Le PR dispose toutefois d’un autre candidat de qualité en la personne d’Alain Juppé. L’ancien premier ministre est aussi «raisonnable» que l’actuel président. Sa tempérance politique est de nature à séduire l’électorat modéré, du centre-droit au centre-gauche. Et il a, pour sa part, l’avantage de ne pas porter un bilan économique peu glorieux dans la dernière période.
Le maire de Bordeaux va néanmoins rencontrer, sur son chemin, un obstacle de taille qui sera très vraisemblablement épargné au président sortant: l’exercice d’une «primaire», en l’occurrence pour choisir le candidat des Républicains. Une joute qui sera arbitrée par un électorat de droite où se mêleront, en proportions inconnues, Mécontents et Raisonnables.
À ce jeu complexe, Nicolas Sarkozy part favori. C’est ensuite que les choses risquent de se gâter pour lui. L’ancien président avide de revanche hésite visiblement entre le rôle de champion du PM et de leader du PR. Sa volte-face sur la question des réfugiés en est la preuve flagrante. Sarkozy n’a pas hésité à saluer les réfugiés comme «nos frères dans l’espèce humaine» après avoir odieusement assimilé leur afflux à une «fuite d’eau».
Or, le président LR ne pourra simultanément dégonfler l’électorat lepéniste en lui empruntant ses thèmes et incarner l’alternative à cette vague protestataire. Gagner son ticket de présence au second tour suppose d’opter pour l’une ou l’autre de ces stratégies. Tant que Marine Le Pen monopolise efficacement le PM, ses adversaires n’ont d’autre choix que de prendre la tête du PR. Ce qui n’est pas gagné pour Sarkozy.
Article publié sur Slate.fr
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