La crise politique française, qui ne cesse de s'aggraver depuis plusieurs décennies, offre en cette rentrée le désolant spectacle d'une représentation de plus en plus morcelée. Dans tous les camps, les forces centrifuges l'emportent allègrement sur leurs homologues centripètes. Les partis se fragmentent, les divisions se creusent, les coalitions se brisent.
Un Front national pluriel
S'il est une formation qui devrait afficher une insolente santé, dans le morose contexte marqué par la pression migratoire et l'interminable crise économique, c'est bien le Front national. Or le voici aux prises avec une crise interne dont il ne faut pas sous-estimer les effets à terme même si elle ne brisera pas sa dynamique électorale.
L'exclusion de Jean-Marie Le Pen du parti qu'il a fondé en 1972, si elle a déjà de quoi troubler militants et électeurs d'extrême droite, a aussi mis en lumière de réelles divergences au sein de cette formation. Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, a voté contre l'éviction du «Menhir».
Marion Maréchal-Le Pen, pourtant en butte à de vives attaques de la part de son grand-père, a déclaré qu'elle était personnellement opposée à son exclusion. L'unique députée FN affiche de plus en plus clairement sa propre identité catholique et conservatrice au sein de son parti. Sa présence à une «université d'été» catholique dans le Var participe de cette afffirmation.
La droite sans chef naturel
À droite, c'est l'absence persistante de leadership incontesté qui crée le trouble et la division. Ce camp n'est à son aise que lorsqu'un chef le guide d'une main de fer. Les rivalités non résolues ont toujours porté un tort considérable au parti conservateur, connu sous le nom de «machine à perdre».
À sa grande surprise, le retour sur scène de Nicolas Sarkozy ne lui a pas permis de renouer avec son statut de chef naturel de la droite. Le président du parti Les Républicains n'est qu'un des candidats possibles à la prochaine élection présidentielle. Et ce n'est pas en bombant le torse (nu à l'égal d'un Vladimir Poutine) qu'il changera de catégorie.
Promise à l'exercice –inédit pour elle– de la «primaire», la droite républicaine est devenue le lieu d'éclosion de multiples différences. Alain Juppé cultive, avec une indéniable assurance, le profil rassurant d'un homme de droite expérimenté et modéré. Il n'hésite pas à surprendre par certaines audaces, comme en témoignent ses propositions récentes en matière d'éducation.
De son côté, François Fillon force presque l'admiration par son entêtement à vouloir demeurer dans la course élyséenne. Lui se veut le courageux réformiste libéral que Sarkozy l'aurait empêché d'être à l'hôtel Matignon. Et n'oublions pas le rénovateur Bruno Le Maire, le mystérieux Xavier Bertrand ainsi que la désarmante Nadine Morano, elle aussi désireuse de se lancer dans la bataille de la primaires.
Candidatures socialistes en pointillé
À gauche, les dissonances sont également nombreuses. Les observateurs ont beau répéter que François Hollande prépare sans plus tarder sa nouvelle candidature, l'absence de résultats sur le front de l'emploi complique tout de même son dessein.
Le pouvoir rose présente, au demeurant, toute une palette de sensibilités aux redoutables potentialités contradictoires. Le plus vertébré et allant est, à coup sûr, le libéral avancé Emmanuel Macron, qui offre l'immense avantage de croire à ce qu'il raconte.
La figure de Manuel Valls est déjà plus brouillée, même si sa réputation d'homme d'ordre lui assure la sympathie d'une partie de l'opinion. Face à un exécutif arc-bouté à des choix économiques toujours pas couronnés de succès, le Parti socialiste est enfin bien forcé d'essayer d'exister.
Le 27 juillet, le bureau national du PS a adopté ses propositions pour le projet de budget 2016 malgré le vote contre du député Christophe Caresche, représentant de l'aile droite du parti, et l'abstention de proches de Manuel Valls comme le sénateur Luc Carvounas. Christian Paul s'est réjoui de cette «majorité d'idées» pour «réorienter le pacte de responsabilité».
Mais le sage chef de file de la gauche du PS se trouve concurrencé par les turlupinades d'Arnaud Montebourg, chef d'entreprise novice mais vieil habitué des coups d'éclat médiatiques. Aux côtés de Yannis Varoufakis, l'ancien ministre des Finances grec, l'ancien ministre de l'Economie français a tout simplement accusé Hollande d'appliquer «le programme de la droite allemande au pouvoir». Nul doute que Montebourg saura se rappeler, de temps à autre, au bon souvenir de ses camarades.
Éclatement des écologistes
Du côté des écologistes, le temps de l'éclatement semble arrivé, avec le départ d'EELV de François de Rugy, l'une des figures de «l'écologie réformiste», suivi de celui de Jean-Vincent Placé, le chef de file du parti au Sénat. La cohabitation au sein de cette formation d'écologistes radicaux ou protestataires et d'autres privilégiant l'exercice du pouvoir et l'alliance avec le PS était devenue invivable.
Idéologiquement diverse par nature, l'écologie politique risque de s'incarner prochainement en formations rivales. Cette division l'empêchera de profiter des opportunités ouvertes par un agenda qui place pourtant les questions environnementales au coeur du débat public.
Fracture du Front de gauche
À gauche de la gauche, la malédiction de la division frappe aussi fort. La crise grecque a achevé de creuser le fossé qui a progressivement séparé le Parti de gauche du PCF. Jean-Luc Mélenchon a refusé de soutenir le plan accepté par Alexis Tsipras sous la contrainte et il envisage désormais une sortie de l'euro.
À l'opposé, Pierre Laurent a apporté son soutien au chef du gouvernement grec et refuse d'accabler la monnaie unique européenne. Déjà divisé au plan des stratégies électorales, le Front de gauche perd ainsi sa cohérence politique sur une question majeure.
On aurait encore pu parler de la révolte qui gronde, au sein du MoDem, après un accord avec le très réactionnaire Laurent Wauquiez passé par un responsable de cette formation dans la perspective des élections régionales. Si la France compte d'innombrables sujets de mécontentement, sa classe politique collectionne comme jamais les sujets de division. D'où un pénible sentiment de décomposition générale.
Article publié sur Slate.fr
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