Cette fois, c’est certain. L’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de l’UMP n’a en rien réglé la question du leadership à droite. La manière pathétique dont l’ancien président de la République s’est pris les pieds dans le tapis de l’élection législative partielle du Doubs en apporte la preuve cinglante.
Le fait que le président se soit fait mettre en minorité dans l’instance dirigeante de son propre parti, pour spectaculaire qu’il soit, n’est pas le plus inquiétant pour lui. Après tout, pareille mésaventure était arrivée à Lionel Jospin, alors premier secrétaire du PS, déjà à propos de la stratégie à adopter vis-à-vis de l’extrême droite, après les élections régionales de 1986.
Un homme sans conviction ni autorité
Le plus grave reste ce que cet incident de parcours révèle de deux défauts majeurs de celui qui aspire à une revanche élyséenne en 2017. Dans cette affaire, Sarkozy s’est d’abord montré incapable de définir une position ferme. Accorder la «liberté de vote» aux électeurs de l’UMP tout en leur suggérant de dire «non au FN» n’est pas d’une clarté cristalline. «Un parti politique qui ne prend pas de position, ce n'est pas bon signe», avait-il pourtant prévenu.
En s’éloignant du «ni-ni» (ni «front républicain» ni Front national), jusqu’ici par lui préconisé, sans rompre nettement avec cette doctrine, «Sarko» a privilégié la recherche laborieuse d’un équilibre interne à l’expression de ses propres convictions. Cet opportunisme rappelle furieusement celui dont il avait récemment fait preuve, de manière caricaturale, face aux opposants au «mariage pour tous».
Or, les contorsions manœuvrières du nouveau président de l’UMP ne lui ont pas épargné l’humiliation de n’être point suivi par la majorité des dirigeants du parti. Même des très proches comme Patrick Balkany ont osé lui tenir tête! Son image d’autorité et son statut de fédérateur d’une formation aux sensibilités éminemment diverses s’en trouve gravement atteinte.
Les anciennes stars de la présidentielle de 2007 finissent décidément mal, en général. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy rêvent d’une revanche dix ans plus tard dans un pays où les battus du suffrage universel ont pris la funeste habitude de refuser de s’éclipser modestement de la scène publique.
La première se démène dans l’activisme démagogique, le second est devenu la caricature d’un personnage déjà bien typé à l’origine. Sa légendaire énergie s’est transformée en hésitations pusillanimes. Les «idées» qu'il se vantait de produire à un rythme frénétique ne sont plus que des slogans rabâchés jusqu’à l’ennui. Sa capacité à produire un discours synthétique, où pouvaient se projeter les différentes traditions historiques de la droite française, a cédé la place à de poussives tentatives de concilier les contraires.
Le coup de Juppé
Dans ce contexte, que j’avoue humblement avoir mal anticipé, l’hypothèse d’une dynamique porteuse pour Alain Juppé doit être prise au sérieux. L’ancien premier ministre de Jacques Chirac, qui entre dans l’année de ses soixante-dix ans, a déjà réussi la prouesse d’être sacré «homme politique de l’année» 2014 par le magazine «masculin» GQ. Celui-ci a repéré en Juppé une appartenance à «la génération des Beatles, des Rolling Stones et des yéyés» conjuguée avec un «côté sage» qui pourraient bien le propulser sur la plus haute marche du podium républicain.
En annonçant clairement qu’il voterait pour le candidat socialiste s’il était électeur dans la quatrième circonscription du Doubs, Juppé fait preuve d’un courage qui peut lui être profitable dans l’avenir. Certes, il prend aujourd’hui à rebrousse-poil des électeurs de droite très minoritairement acquis à l’idée qu’il faudrait préférer le PS au FN dans un scrutin local. Sa prise de position ne rehaussera pas non plus sa cote auprès des hiérarques de l’UMP qui sont souvent très loin de partager son analyse selon laquelle «notre principal adversaire politique est devenu le FN».
Mais Juppé vise ailleurs et plus loin. Candidat d’ores et déjà déclaré à la future primaire de la droite, il cultive un profil de présidentiable potentiellement gagnant. Sarkozy n’est aujourd’hui plus assez dominant pour empêcher la tenue d’une compétition électorale ouverte aux sympathisants de la droite et du centre. S’il devait trahir sa promesse de l’organiser, il s’exposerait à une multiplicité de candidatures de droite potentiellement mortelle pour lui.
La bataille se jouera donc devant des électeurs de droite désireux d’envoyer l’un des leurs à l’Elysée et non au milieu de militants plus ou moins radicalisés. Les chances de François Fillon n’ont certes pas disparu, mais son obstination à dévider un chapelet libéral le marginalise tant cette doctrine est minoritaire, y compris dans le «peuple de droite».
Force est de constater que le maire de Bordeaux vieillit plutôt bien. N’ayons pas la naïveté de croire que l’homme autrefois «droit dans ses bottes» deviendrait souple dans ses baskets à l’Elysée. Le complexe de supériorité de celui que Chirac avait défini comme «le meilleur d’entre nous» n’a pas disparu. Mais les hauts et les bas de sa carrière, les rudes épreuves qu’il a subies, semblent avoir patiné son caractère et aiguisé son aptitude au compromis.
Meilleur opposant à Le Pen
Cette image lui vaut déjà l’honneur d’être la personnalité la plus populaire d’après le baromètre Ifop. Avec 65% de «bonnes opinions», Juppé écrase Fillon (48%) et surtout Sarkozy (38%). Chez les sympathisants de l’UMP, Juppé (82%) fait même presque jeu égal avec Sarkozy (83%), devant Fillon (67%).
Ces indications sondagières sont assurément conjoncturelles, mais elles pèsent dans notre démocratie d’opinion. L’essentiel sera de savoir, d’ici l’échéance de 2017, qui sera le meilleur candidat pour battre Marine Le Pen. Personne ne doute plus désormais de sa qualification pour le second tour du scrutin présidentiel. Sarkozy évoque même une possible «victoire au niveau national» du FN tandis que Juppé considère que son accession au pouvoir «n’apparaît plus tout à fait comme une hypothèse d’école».
Cette nouvelle problématique, que la probable victoire du candidat frontiste dimanche prochain, rendra encore plus prégnante la manière dont seront sélectionnés les compétiteurs de la prochaine présidentielle. Le but ne sera pas seulement de choisir celui qui rassemblera le mieux son camp pour lui permettre d’accéder au second tour. Il conviendra simultanément d’élire, lors des primaires, un candidat apte au plus large rassemblement contre le FN
C’est ici que la stratégie d’ouverture au centre pratiquée par Juppé prend tout son sens. Les électeurs de la droite, du centre, et peut-être même au-delà, qui participeront à la primaire organisée par l’UMP et ses alliés seront sans doute désireux d’opter pour une personnalité capable de devancer un François Hollande (candidat probable selon Manuel Valls lui-même) qui jouera au rassembleur contre l’extrême droite.
Qui sait si certains électeurs de gauche, exaspérés par une politique menée en leur nom si contradictoire avec leurs propres valeurs, ne se laisseraient pas séduire par une «juppémania» dont Les Inrockuptibles se sont fait l’écho? L’amusant éditorial de Frédéric Bonnaud est peut-être prémonitoire. Il imagine un dialogue entre deux électeurs de gauche. Le premier souligne que Juppé ferait, au pouvoir, «la même chose que Valls et Macron». Le second réplique que «Sarko, Hollande et Valls sont tous allés voir la pièce de BHL? Pas Juppé».
Article publié sur Slate.fr
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