Le scrutin à deux tours n’est pas fait pour que l’électorat se contredise d’un dimanche à l’autre. Les citoyens ont beau être d’humeur fort changeante au fil des ans, ils n’en sont pas moins capables de garder un même état d’esprit pendant une semaine. L’expérience montre que le second tour d’une élection ne contredit qu’exceptionnellement le premier.
En théorie, il le pourrait. Le réservoir des abstentionnistes est habituellement suffisamment rempli pour que le camp en difficulté à l’issue du premier dimanche puisse rêver d’un succès au soir du suivant. Ces espoirs sont d’autant plus répandus, cette fois-ci, que le taux d’abstention a battu tous les records pour un scrutin municipal: 36,45% des inscrits.
La gauche espère tout particulièrement dégeler à son avantage une fraction de ces citoyens passifs, tant il est vrai qu’elle a souffert, le 23 mars, d’un abstentionnisme différentiel très pénalisant: selon l’Ifop, 37% des électeurs de gauche se seraient abstenus, contre seulement 30% de ceux de droite.
Oui, mais les raisons d’un tel phénomène auront-elles disparu le 30 mars? L’électorat de gauche rageant contre la politique gouvernementale sera-t-il rassuré que François Hollande dise que «le message a été entendu» et qu’il veut«aller plus vite», apparemment toujours dans la même direction?
L’électorat de droite exaspéré sera-t-il rassuré par les rumeurs distillées selon lesquelles le président de la République serait tout disposé à annoncer «une baisse d'impôts pour les ménages»? On peut légitimement douter de tout cela.
La règle de la confirmation
En règle générale, comme le montre l’histoire électorale, le second tour confirme la tendance révélée par le premier. Il faut remonter aux élections législatives de 1967 pour repérer une assez nette discordance entre deux dimanches successifs. La victoire paraissait acquise, à l’issue du premier round, aux partisans du général de Gaulle; ceux-ci ne l’ont finalement emporté que de justesse, victimes de coalitions d’électeurs opposants disparates.
Il est autrement plus fréquent que le second tour accentue la dynamique du premier. C’est ce qui s’était passé lors des élections municipales de 1977, marquées par une très forte poussée de la gauche. Plus rarement, le scrutin de ballottage corrige à la marge les déséquilibres du vote initial.
On l’avait constaté aux municipales de 1983, auxquelles on compare fréquemment le renouvellement communal actuel. La gauche avait alors «sauvé» quelques villes emblématiques comme Belfort ou Marseille. D’un tour à l’autre, elle avait gagné 2,3 points, contre seulement 0,8 pour la droite. D’après les sondages de l’époque, la majorité avait profité à 60% d’un surcroît de participation de 4,7% des électeurs inscrits. La droite n’en restait pas moins largement majoritaire le jour du second tour.
Les deux derniers scrutins municipaux ont été caractérisés par une nette stabilité des rapports de forces électoraux d’un tour à l’autre. En 2001, un cru plutôt défavorable à la gauche au pouvoir, celle-ci a recueilli 47,3% des suffrages exprimés au premier tour et 47% au second. En 2008, lors d’un renouvellement plus heureux pour une gauche retournée dans l’opposition, le même camp totalisait 49,4% au premier tour puis 49,5% le dimanche suivant.
Des offres électorales atypiques
Il semble ainsi fort improbable que le vote du 30 mars contredise la tendance du 23 mars. Patrick Mennucci a beau affirmer que, «à Marseille, au-delà des chiffres, rien n'est joué», sa défaite semble inscrite dans les résultats de dimanche dernier. Selon toute vraisemblance, la gauche souffrira encore et son solde de mairies gagnées et perdues sera lourdement négatif.
Elle peut néanmoins espérer limiter les dégâts, ici ou là, en appelant à la rescousse une partie des abstentionnistes du premier tour. C’est la thèse du «sursaut» qui pourrait lui permettre, surtout dans les communes où elle a su se rassembler, d’échapper à un certain nombre de défaites.
L’enjeu le plus ouvert du second tour concerne toutefois le comportement des électeurs dans les situations plus complexes que les classiques duels droite-gauche. De nombreux électeurs du Front national devront arbitrer entre la fidélité à leur parti et leur souhait de favoriser une victoire de la droite. Leur réponse nous dira à quel degré le choix du FN est devenu un vote d’adhésion.
Les réactions de l’électorat aux offres de candidatures les plus atypiques sont encore moins prévisibles. Comment les Grenoblois arbitreront-ils la quadrangulaire qui leur est réservée? Une partie de l’électorat de droite, effrayée par la perspective d’une municipalité écologiste-Front de gauche, viendra-t-elle au secours de la liste socialiste?
Le combat entre l’ancien et le nouveau communisme à Montreuil révèle un autre type de configuration inédite, toujours sur fond de quadrangulaire. C’est dans ces communes que le second tour placera l’électeur devant un choix qui est loin d’être le simple prolongement de son vote récent.
Article publié sur Slate.fr
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