Le débat public français prend décidément un tour aussi troublant qu’étrange. Les polémiques s’enchaînent à l’infini sur des sujets d'importance inégale —de la «quenelle» d’un saltimbanque sans scrupules à une obscure «théorie du genre» en passant par le serpent de mer de la PMA pour les couples de lesbiennes— dont on admettra qu’ils n’entrent pas dans les préoccupations premières de la population, contrairement aux questions sociales ou économiques. Elles n’en provoquent pas moins du bruit médiatique et de la fureur politique, pour le plus grand profit des extrêmes de tous poils et des sectaires de toutes espèces.
Simultanément, pourtant, le consensus de fond progresse dans le «cercle de la raison» des partis de gouvernement. La conversion de la gauche au pouvoir à la «politique de l’offre» et la priorité officiellement reconnue à une quête désespérée de «compétitivité» rapprochent considérablement le PS et l’UMP, une orientation explicitement condamnée par le candidat socialiste pendant la campagne présidentielle. Cette confusion ne peut évidemment être publiquement reconnue par ces deux formations devenues bien plus rivales dans la conquête de l’Etat qu’opposées dans leurs visées politiques.
Les deux phénomènes se confortent l’un et l’autre. Le conformisme idéologique de l’espace politique institutionnel entretient et provoque, par un effet de compensation, l’éruption régulière de polémiques plus ou moins hystériques. La confusion des uns alimente le sectarisme des autres.
Une société écartelée
L’écho rencontré par les débats les plus houleux de la période ne saurait pour autant être sous-estimé. Si leur objet est parfois mineur, ces affrontements se jouent sur le terrain de marqueurs symboliques forts: l’homosexualité, l’égalité des sexes ou encore le racisme. Et ils révèlent une société française beaucoup plus divisée dans ses valeurs fondamentales qu’on aurait pu l’espérer ou l’imaginer.
Le rapport à l’homosexualité est sans doute celui qui met en évidence les plus profondes contradictions dans les représentations culturelles. Structurée par ses convictions religieuses au sein d’une société majoritairement indifférente à Dieu, une minorité non négligeable campe sur sa vision traditionnelle de la famille. Il n’est pas étonnant que s’y retrouvent à la fois des courants catholiques et musulmans.
Cette sensibilité est évidemment aux antipodes des combats portés par les associations LGBT qui influencent une autre et large partie de la société française. Que devient le «vivre ensemble» dans ces conditions?
Visibilité des extrêmes
Ces polémiques ont encore pour inconvénient majeur de donner une visibilité remarquable à des franges extrêmes de la scène publique. Au nom de la lutte contre l’antisémitisme, une publicité extraordinaire a ainsi été donnée au duo malfaisant formé par Dieudonné et Alain Soral.
Cette surexposition médiatique doit beaucoup à la stratégie adoptée, en ce qui les concerne, par Manuel Valls. Si l’interdiction faite à l’humoriste antisémite de fouler le sol britannique semble la conforter, la question reste de savoir si le choix d’une censure préalable diminuera son écho auprès du jeune et bigarré public de cet agitateur intéressé.
Le climat actuel a aussi permis, pour la première fois depuis très longtemps, à une manifestation authentiquement d’extrême droite d’être massive. Les 17.000 participants à «Jour de colère» représentent un succès qui ne peut être nié pour un courant aussi radical.
Face à tout cela, la gauche semble à la fois tétanisée et tentée par la surenchère verbale. Les diverses manifestations d’une «France réactionnaire» qu’elle honnit sans vraiment en comprendre les ressorts provoquent dans ses rangs des réactions parfois outrancières qui ne peuvent que conforter ses adversaires. Nombreux ont été ceux qui se sont laissés aller à un amalgame entre «Jour de colère» et la Manif pour tous, deux mouvements pourtant bien distincts dans leurs mots d’ordre et dans leur modes opératoires.
Le triomphe de TINA
Ces réactions sectaires ne sont assurément pas sans rapport avec le trouble identitaire qui saisit la gauche gouvernante. TINA (le fameux «there is no alternative» de Margaret Thatcher) ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Le «pacte de responsabilité» passé entre François Hollande et le Medef trahit un véritable consensus sur la politique économique à mener entre le PS et l’UMP. Au sein de cette dernière formation, les réactions divergentes manifestent seulement des désaccords tactiques sur la manière de se situer par rapport au tournant présidentiel.
Il est également révélateur que personne ne prenne vraiment au sérieux le programme franchement «libéral» concocté dernièrement par l’UMP. Chacun sait que le futur candidat de droite ne pourra aller à l’élection présidentielle sur cette ligne, Nicolas Sarkozy s’imaginant plutôt brouiller à nouveau les clivages idéologiques. Comme François Hollande navigue dans des eaux qui l’éloignent de plus en plus de l'électorat de gauche qui l'a porté au pouvoir, la confusion des esprits a de beaux jours devant elle.
Nervosité publique
Rien de tel pour fournir du carburant aux «extrêmes» rituellement dénoncés par les dirigeants socialistes. Le Front national est conforté, de jour en jour, dans son slogan d’opposition à «l’UMPS». Sa montée en puissance est dans l’ordre des choses, si elle n’est pas calculée en haut lieu. Jean-Luc Mélenchon peut, avec de solides arguments, s’indigner de voir la gauche «trompée, répudiée» par le pouvoir.
La radicalisation des électeurs lors des échéances nationales n’aura, dés lors, rien de surprenant. En attendant, les sectarismes fleurissent. Un candidat du Parti de gauche est désavoué pour avoir pris un pot avec l’ancien ministre gaulliste Yves Guéna, un personnage républicain pourtant tout à fait honorable. Un ministre de l’Intérieur, qui avait eu l’imprudence de comparer la situation présente aux années trente, lâche un «Je t’emmerde» à un député de l’opposition.
Le candidat Hollande avait promis d’apaiser le débat public. Au rebours, la conflictualité politique a pris, sous sa présidence, la double figure du fatalisme et de l’hystérie. La soumission à des lois économiques pourtant peu scientifiques se double d’agitations désordonnées sur les questions de société. Pour le malheur de la vraie dispute politique.
Article publié sur Slate.fr
"Face à tout cela, la gauche semble à la fois tétanisée et tentée par la surenchère verbale. Les diverses manifestations d’une «France réactionnaire» qu’elle honnit sans vraiment en comprendre les ressorts provoquent dans ses rangs des réactions parfois outrancières qui ne peuvent que conforter ses adversaires."
Si la surenchère n'était que verbale...je vous rappelle que très récemment a Rennes, 600 « militants de gauche» armés de barres de fer et de bâtons ont , pour protester contre une réunion électorale du FN , provoqué des affrontements avec les forces de l'ordre, et se sont livrés a des déprédations dans le centre ville, défonçant les vitrines de quatre agences bancaires et 5 magasins ( identifiés comme d’extrême droite, je présume?) Curieusement, personne n'a parlé des 4 policiers blessés dans cette affaire, et les 3 personnes ( 3!!) arrêtées a cette occasion ont été relâchées sans poursuites judiciaires...
2 remarques : je suis un opposant résolu au FN ; ceci étant, le FN est que je sache un parti autorisé et en l' occurrence, il tenait meeting en salle dans des conditions parfaitement légales et normales ; que justifie alors une attitude pareille ? Le combat doit être celui des idées , de la conviction par le débat , et non par l'utilisation de méthodes qui sont précisément fascisantes
D'autre part, je trouve extrêmement surprenant le traitement de cette affaire par le pouvoir : 3 casseurs arrêtés et relâchés sans suite.. on a vu Mr Valls nettement plus ferme récemment a d'autres occasions...
vous imaginez les réactions si on avait assisté à une réunion du FG attaquée par 600 nervis d’extrême droite , avec les violences décrites ? Le sentiment du deux poids deux mesures est ce qui vient naturellement a l'esprit ; alors question ; a quoi joue t'on exactement ?? le PS ne joue-t-il pas précisément l'exaspération de la droite conservatrice pour instituer une ambiance de guerre civile lui permettant de jouer un réflexe identitaire « de gauche » , pour limiter la casse que lui promet sa politique de collusion totale avec l' UMP sur les questions essentielles ?
Rédigé par : JMP | 18 février 2014 à 20h41
L'extrême gauche comme l'extrême droite jouent toujours le pourrissement contre les gouvernements élus .En outre , la droite estime fondamentalement illégitime la gauche au pouvoir : ceci explique cela , toutes les décisions sociétales, bien que majoritairement approuvées par le pays , amènent des catholiques intégristes ou autres dans la rue ( Pacs , ivg , mariage pour tous ,..). Et alors !
Rédigé par : catherine brachet | 25 février 2014 à 09h17