Un canard décapité peut parcourir une distance impressionnante avant de s’affaler piteusement. Le bestiaire politique offre, lui aussi, de singuliers spectacles.
Le Parti socialiste d’aujourd’hui apparaît étrangement comme un corps sans tête doté de fortes jambes. Il n’a pas de vrai chef. Il manque d'une claire orientation politique. Il ne lance aucune idée dans le débat public.
Pour autant, le PS demeure une redoutable mécanique électorale. Les prochaines municipales démontreront, à nouveau, que ce parti dévitalisé reste solidement enraciné sur le terrain local.
Ni chef ni idées
Il ne serait pas charitable de s’appesantir sur la faillite, au demeurant prévisible, d’Harlem Désir à la tête du PS. Le premier secrétaire, choisi par François Hollande pour des raisons de commodité personnelle, a néanmoins dépassé toutes les craintes de ses détracteurs. Il n’a jamais réussi à faire vivre «l’autonomie solidaire» du parti par rapport au gouvernement, compensant un suivisme de principe par de rares initiatives jugées intempestives.
Sous ce que l’on n'ose appeler son autorité, le PS ne joue pas le rôle de proposition et d’éclairage qui devrait être le sien. Du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à la «remise à plat» de la fiscalité, les tournants sont toujours pris par l’exécutif. Pis, le parti est contraint de défendre après-coup des politiques changeantes au fil d’innombrables contradictions et reculs.
Il n’est pas plus à l’aise dans le débat d’idées, où le PS se contente essentiellement d’orchestrer quelques opérations de propagande. Un jour, il organise un «meeting contre les extrémismes» qui sonne comme un terrible aveu d’échec lorsque l’ancien dirigeant de SOS-Racisme s’exclame: «Je n'ai pas connu un tel déferlement de la parole haineuse et raciste depuis trente ans!» Un autre, il tient un colloque d’une demi-journée sur «la montée des populismes en Europe».
Clubs et coquilles vides
On rétorquera à raison que les partis politiques ne sont pas faits pour produire des idées. Celles-ci naissent plutôt dans de souples structures que l’on peut appeler «clubs de réflexion» ou «think tank». Le problème est que l’environnement intellectuel du PS n’est pas non plus au mieux de sa forme.
La Fondation Jean-Jaurès reste handicapée par ses liens structurels avec le parti. Son directeur général, Gilles Finchelstein, par ailleurs «conseiller de grands patrons du CAC 40», reconnaît que sa mission n’est «pas évidente» lorsque les socialistes sont au pouvoir.
Terra Nova, la «fondation progressiste» en orbite autour du PS, traverse une crise depuis le décès de son fondateur, Olivier Ferrand, en juin 2012. Présidée par l’ancien leader de la CFDT François Chérèque, elle vient de perdre sa jeune et ambitieuse directrice générale, Juliette Méadel. Celle-ci déplore de ne pas avoir réussi à faire prévaloir «d’autres points de vue que ceux d’une social-démocratie ronronnante» au sein de ce think tank autonome.
Au sein même du PS, les clubs se multiplient mais sont rarement productifs. Associé avec Jean-Louis Bianco, Vincent Feltesse, député socialiste de Gironde, vient de lancer MAI (Mobiliser Animer Imaginer), qui se propose de «suppléer les carences du PS et de son premier secrétaire»... tout en s’inspirant de l’exemple historique de SOS-Racisme. Les proches de Martine Aubry proposent, de leur côté, à toutes les bonnes volontés de se rapprocher de Renaissance, une «coopérative d'idées et d'action».
Le succès de ces clubs de réflexion est loin d’être assuré. La Forge, créé par Benoît Hamon en 2007 et qui se voulait un instrument de conquête idéologique, n’est plus. La Gauche populaire, un temps lieu de convergence entre politiques et intellectuels, est devenue un simple groupe d’élus.
Plusieurs clubs socialistes multiplient tribunes et communiqués de presse plutôt qu’ils ne produisent une réflexion approfondie. C’est le cas de la Gauche durable, de la Gauche forte ou encore de Un monde d’avance. Gauche Avenir, qui se singularise par une démarche unitaire, est sensiblement plus avancé dans le débat d’idées.
Machines électorales
Le PS a beau être peu fertile en propositions et insuffisamment en prise avec son environnement social ou intellectuel, il reste étonnamment performant dans certaines joutes électorales. Harlem Désir était parfaitement fondé à se féliciter, le 14 décembre, que son parti soit «en ordre de bataille» pour les municipales de mars 2014. Le slogan choisi par les socialistes est assez nunuche —«La ville qu’on aime pour vivre ensemble»— mais leur armée d’élus locaux a indéniablement du savoir-faire.
Le PS réussit fréquemment la première étape de ce scrutin grâce à l’organisation de «primaires» dans les communes de plus de 100.000 habitants. L’exercice a permis aux socialistes marseillais d’arbitrer leurs sourdes rivalités internes tout en mobilisant quelques 30.000 électeurs, soit un quart des votants de gauche. Une participation du même ordre, en proportion du nombre d’électeurs de gauche, a permis à 3.600 électeurs de La Rochelle de départager les postulants du PS.
A Paris, le ralliement de Jean-Marie Le Guen à Anne Hidalgo a privé le PS de cette phase de primaire. Mais la dauphine de Bertrand Delanoë a su faire preuve d’une capacité de rassemblement de la gauche qui dénote un réel professionnalisme. Les socialistes semblent retrouver de l’assurance et de la cohérence au fur et à mesure qu’ils descendent des hautes sphères du pouvoir pour se rapprocher des réalités du terrain.
Cette grille d’analyse peut même rendre compte de la légèreté avec laquelle le PS prépare les élections européennes, en donnant grossièrement la priorité à de sombres équilibres internes sur les compétences de ses candidats. Là, la sanction électorale risque d’être plus sévère.
Libéré de l’idéologie et du militantisme, le PS s’est progressivement transformé en un parti professionnalisé et localisé. Seuls les plans de carrière et le poids de la technostructure assurent un minimum de cohérence à l’ensemble. Cela durera ce que cela durera...
Article publié sur Slate.fr
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