Les prochaines élections municipales ne seront guère le théâtre de batailles rangées entre une droite et une gauche engagées dans un féroce combat idéologique. L’électeur arbitrera plutôt des batailles joyeusement dérangées au regard des clivages nationaux: d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, les alliances municipales les plus diverses se nouent au gré des multiples configurations locales.
Le renouvellement du mandat des maires de mars 2014 se profile comme une nouvelle illustration des craquements qui fragilisent notre système de partis. Non seulement la bipolarisation est fort mal en point, mais les proximités sur le terrain se jouent de plus en plus des frontières partisanes.
Grand écart au Front de gauche
L’incohérence entre logiques nationales et considérations locales est poussée le plus loin par le Parti communiste. Tiraillé entre son appartenance à un Front de gauche hostile au gouvernement et sa tradition d’alliances municipales avec le PS, le PCF a opté pour des stratégies contradictoires d’une ville à l’autre.
A s’en tenir aux trente plus grandes villes de France, et d’après les calculs du Monde, les communistes participeront à une liste autonome du Front de gauche dans 14 cas et à une liste d’union avec les socialistes dans 13 autres (trois cas restant indéterminés). Le PCF partira au combat avec le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon aussi bien dans des cités dirigées par la gauche, comme Lille ou Limoges, que gouvernées par la droite, telles Bordeaux ou Marseille.
Inversement, le parti de Pierre Laurent a reconduit son partenariat avec le PS dans de nombreuses villes dirigées jusqu’ici conjointement, comme Brest ou Toulouse. Il a ailleurs parfois choisi «l’union de la gauche» pour faire barrage au FN, comme à Perpignan.
Ce sont les militants communistes qui ont choisi, par un vote interne, la stratégie dans leur commune. A Paris, sous la pression de Pierre Laurent, ils ont opté à 57% pour l’union avec les socialistes, ce qui a provoqué la colère de Jean-Luc Mélenchon.
Le PG souligne qu’il est contradictoire de dénoncer la politique gouvernementale et de s’associer à ses soutiens dans les villes. Mais ne sera-t-il pas contraint lui-même à une telle gymnastique au second tour des municipales, qui verront fusionner de nombreuses listes du Front de gauche avec celles du PS?
Les socialistes ne sont pas non plus exempts d’inconséquences. Ils ne cessent de prôner l’unité de toute la gauche et des écologistes dés le premier tour, mais s’en affranchissent volontiers lorsqu’ils se sentent en position de conquête. A Montreuil, Dominique Voynet (EELV) a jeté l’éponge sur un scène locale marquée par de multiples divisions mais aussi dominée par les appétits du socialiste Razzy Hammadi. A Saint-Denis, c’est Mathieu Hanotin (PS) qui est bien résolu à tenter de s’emparer du fief historique du PCF.
Géométrie variable d’EELV
Les écologistes se permettent, eux aussi, pas mal de fantaisies stratégiques en fonction des contextes locaux. La règle posée par EELV est celle de la présentation de listes autonomes au premier tour dans la perspective de retrouvailles avec les socialistes au second. Elle s’applique dans de nombreuses cités gouvernées avec le PS, comme Nantes ou Paris.
Dans une quarantaine de villes, pourtant, les écologistes, qui siègent au gouvernement, ont choisi de s’allier au Front de gauche, qui le conteste vertement. C’est le cas à Carcassonne ou à Villeurbanne. A Grenoble et à Rennes, des listes soutenues à la fois par EELV et le PG affronteront celles du PS.
Et puis, il y a les communes où socialistes et écologistes partent au combat électoral main dans la main. Cette belle entente s’observe, par exemple, à Evry où les camarades de Cécile Duflot feront liste commune avec Manuel Valls alors même que la première avait accusé le second de «mettre en danger le pacte républicain» au sujet des Roms. Elle devrait aussi se réaliser à Marseille, où l’écologiste Karim Zéribi négocie au plus serré. «Avec les Verts, c'est finalement la calculette qui prime», constate un socialiste interrogé par L'Opinion.
Force centrifuge au centre
Sa position topographique expose, par nature, le centre à des tentations antagonistes. Le récent mariage entre l’UDI de Jean-Louis Borloo et le MoDem de François Bayrou n’a pas arrangé les choses.
«L’Alliance» a posé le principe d’une entente avec la «droite républicaine» de l’UMP mais se doit de composer avec les accords passés, ici et là, entre centristes et socialistes. Elle ferme donc pudiquement les yeux devant la reconduction des alliances du MoDem avec le PS à Dijon ou à Lille.
Dans la grande majorité des cas, l’attelage UDI-MoDem se retrouve aux côtés de l’UMP. Mais cela ne va pas sans de singulières complications, comme l’illustre l’imbroglio de l’accord passé entre la droite et le centre à Paris. Dans la capitale, au demeurant, le seul conseiller sortant du MoDem, Jean-François Martins, a rejoint le camp d’Anne Hidalgo (PS).
Une partie notable du centre rejette le basculement à droite. Au Mans, le MoDem a refusé les offres de l’UMP et entend présenter une liste autonome. A Marseille, Jean-Luc Bennahmias, eurodéputé du MoDem issu de l’écologie, menace de déposer ses propres listes alors que l’UDI a basculé du côté de Jean-Claude Gaudin (UMP).
Large oecuménisme au FN
A droite, si l’on fait abstraction de multiples dissidences qui menacent l’UMP, la principale source de confusion viendra du Front national. Parti à la conquête des mairies, celui-ci est prêt à bien des concessions pour se tisser un réseau d’élus locaux.
Le FN a adopté une «charte d’action municipale» qui autorise accords et alliances sans s’encombrer du programme de ce parti. Les dix points de ce texte, qui ne fait même pas allusion à la «priorité nationale», pourraient être signés par de très nombreux candidats UMP et au-delà.
Avec son «Rassemblement Bleu Marine», le FN s’efforce déjà d’attirer des personnalités extérieures à ses rangs. Il soutient ainsi Bernard Marionnaud, fondateur des parfums du même nom, à Clamart. Le FN apporte également son appui à des personnalités diverses comme Robert Ménard à Béziers.
Mais c’est entre les deux tours des municipales que le parti de Marine Le Pen pratiquera à son tour une stratégie de la diversité. Il campera sur ses positions dans certaines communes, au risque de favoriser la victoire de la gauche, tout en passant des accords, plus ou moins publics, avec l’UMP dans d’autres.
Retour du localisme
Tous ces arrangements municipaux peu respectueux des logiques partisanes sont à la fois le produit et le facteur d’un retour en force du localisme. Les configurations locales n’ont pas toujours été alignées sur les clivages nationaux. Dans les années soixante et soixante-dix, les socialistes dirigeaient ainsi de nombreuses villes, soit avec le centre, soit avec le PCF, avant de systématiser une alliance fructueuse avec ce dernier à partir de 1977.
La montée en puissance de notables contrôlant leurs territoires en vertu de la décentralisation et l’affaiblissement de partis politiques vidés de leurs substance militante favorisent cet éclatement des scènes locales. Sans oublier que les étiquettes politiques ont perdu de leur portée. Est-on vraiment certain que Gérard Collomb (PS) est «plus à gauche» qu’Alain Juppé (UMP) ?
Article publié sur Slate.fr
Les idées c'est bien pour causer dans le poste.
Mais la gamelle à remplir, c'est plus important.
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Rédigé par : PMB | 20 décembre 2013 à 10h25