C'st grave, docteur? Oui, l’issue est malheureusement fatale. Un président de la République ne se remet pas d’une impopularité structurelle.
Il peut certes se permettre d’irriter, pour un moment, son peuple. Touché par la grève des mineurs, le général de Gaulle a ainsi enduré une dépression sondagière au printemps 1963. Et il s’est vite rétabli.
Toute autre est la situation du chef de l’Etat lorsqu’il se trouve aux prises avec un mécontentement populaire profond et prolongé. Or, tel est bien le cas aujourd’hui pour François Hollande. Le diagnostic est même exceptionnellement sombre à l’aune des précédents sous la Vème République.
Une disgrâce inédite
Le mal a d’abord frappé le président élu en mai 2012 avec une incroyable précocité. Hollande a basculé dans l’impopularité (plus de «mécontents» que de «satisfaits» de son action dans le baromètre historique de l’Ifop, qui permet de rigoureuses comparaisons depuis 1958) au quatrième mois de son mandat! Nicolas Sarkozy n’avait connu pareille mésaventure qu’au huitième mois.
L’ampleur du rejet qui frappe Hollande est également sans précédent sous la Ve République. Le dernier indice de popularité Ifop révèle un solde négatif de 54 points (23% de satisfaits et 77% de mécontents) alors que le record de Sarkozy n’était que de 44 points (respectivement 28% et 72% en avril 2011). A son pire moment (décembre 1991), François Mitterrand n’avait subi qu’un solde négatif de 43 points.
La disgrâce hollandienne se caractérise enfin par une profondeur inédite. Jamais un président de la République n’avait suscité une hostilité aussi radicale dans l’opinion. La dernière mesure de l’Ifop montre que les sondés se déclarant «très mécontents» du chef de l’Etat (40%) sont plus nombreux que les «plutôt mécontents» (37%)! Ce n’était pas le cas pour Sarkozy au plus fort de l’aversion qu’il provoquait pourtant (respectivement 34% et 38% en avril 2011).
Les métastases de l’impopularité se sont répandues au cœur même de l’électorat du président. Le dernier baromètre Ipsos indique qu’une majorité de ses électeurs du premier tour de la présidentielle jugent désormais défavorablement son action. Hollande ne satisfait plus que 65% de sympathisants socialistes, selon l’Ifop, alors que Sarkozy satisfaisait 72% des proches de l’UMP au creux de la vague.
On ne s’en remet pas
Or l’expérience historique montre qu’il est impossible de sortir du gouffre d’une forte impopularité. La petite mort politique —c’est-à-dire la perte du pouvoir consécutive à une défaite électorale— en est une conséquence obligée.
Valéry Giscard d’Estaing a été battu en 1981 alors qu’il n’avait basculé dans la défaveur publique qu’en fin de septennat. Victime d’un mécontentement populaire régulier depuis le virage de la «rigueur» en 1983, Mitterrand a perdu les législatives de 1986.
L’histoire s’est répétée lors de son deuxième septennat. La séquence de lourde impopularité entamée en 1991 s’est conclue par la spectaculaire défaite législative de la gauche en 1993.
L’implacable règle s’est encore vérifiée avec les deux derniers chefs de l’Etat. Ayant perdu l’oreille du peuple dés l’hiver 1995, Jacques Chirac a vu ses adversaires l’emporter aux législatives de 1997. Quant à Nicolas Sarkozy, sa défaite de 2012 était inscrite dans la logique de l’impopularité persistante qui a marqué la presque totalité de son quinquennat.
Le charme rompu
Comment expliquer l’impossibilité, constatée jusqu’à ce jour, de renouer avec l’électorat après une longue phase de mécontentement? Une première raison tient sans doute à des facteurs de psychologie collective. Dans notre système de monarchie élective, le président de la République concentre sur sa personne des attentes et des espérances telles qu’un retournement de perception est toujours très dangereux.
Le sacre du suffrage universel célèbre un candidat qui a réussi à communier avec l’humeur du pays. Dès lors que le charme vient à se rompre, la rancœur populaire s’installe et s’enracine.
Hollande s’était construit un personnage d’homme d’Etat rassembleur et rassurant. Il est désormais perçu comme un dirigeant incapable de nous épargner de multiples disputes et coupable d’attentisme inquiétant.
Les choix politiques sont néanmoins l’explication la plus profonde. Celui de l’austérité, c’est une constante historique, provoque un rejet dans l’opinion. Mitterrand en a fait les frais en 1983, tout comme Chirac —qui avait cru bon de relever la TVA de deux points dès septembre 1995 après avoir fait campagne sur la «fracture sociale»— douze ans plus tard. Plus près de nous, c’est l’impression que les vrais responsables de la crise ne sont pas ceux qui en subissent les conséquences qui est à la source du discrédit des gouvernants.
Des remèdes inefficaces
Face à l’impopularité, tous les remèdes possibles et imaginables semblent vains. Le premier réflexe des gouvernants est de la mettre au compte d’une fâcheuse méprise. Toujours un peu dur de la feuille, le peuple aurait du mal à comprendre que c’est précisément pour son bien qu’il lui faut avaler potion amère sur potion amère.
Ce serait alors un problème de pédagogie et de communication. Il conviendrait de mieux «expliquer» la politique menée. Il faudrait encore «hiérarchiser» les priorités, «mettre en perspective» les mesures prises, etc. On connaît la chanson. Elle n’a jamais sauvé aucun président.
Une deuxième option consiste à parier stoïquement sur une amélioration de la situation économique. C’est, semble-t-il, celle qui a les faveurs de Hollande. Cet optimiste invétéré attend de pied ferme la «reprise» économique et place son salut dans une inversion de la courbe du chômage promise pour la fin de cette année.
Les aléas de la conjoncture et les fragilités économiques de l’Europe rendent ce scénario plutôt risqué. L’OCDE, pour sa part, prévoit une nette dégradation de la situation de l’emploi jusqu’à la fin 2014. Et rien n’assure qu’un simple retournement de tendance dans les statistiques du chômage, à la crédibilité récemment mise à rude épreuve, suffise à retourner le moral de l’opinion.
Passons sur l’hypothèse, pourtant un moment à l’honneur, selon laquelle un engagement militaire serait de nature à redorer le blason présidentiel. On a vu ce qu’il en a été au Mali, malgré le succès relatif de cette intervention.
Les jeux de Matignon
Il reste le changement d’hommes si l’on exclut, ce qui semble être le cas, un changement de politique apparemment interdit par la surveillance européenne. Nommer un nouveau Premier ministre est une vieille astuce pour président en délicatesse avec l’opinion. Le parallélisme étroit entre les courbes de popularité de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault suggère pourtant que le problème actuel se situe tout autant à l’Elysée qu’à Matignon.
Le président aurait sans doute été mieux inspiré de jouer la complémentarité en nommant Martine Aubry, en 2012, à la tête du gouvernement. Dans le contexte présent, cette configuration n’apparaît guère probable. Même réussi, un changement de Premier ministre ne sauve au demeurant pas le camp présidentiel, comme on avait pu le constater après la nomination de Laurent Fabius à Matignon en 1984.
Hollande semble donc inexorablement promis à la déroute électorale. Serait-ce une raison pour l’anticiper? Quitte à être désavoué dans les urnes, pourquoi ne pas emprunter un chemin propice au rétablissement ultérieur? Mitterrand et Chirac n’ont réussi à se faire réélire que grâce au contexte de cohabitation institutionnelle provoqué par une défaite législative.
La gravité des crises que traverse le pays est telle que l’occasion d’en appeler au pays ne manquera assurément pas. Hollande peut être, un jour, tenté par une dissolution de l’Assemblée nationale le libérant de la lourde pression qui s’exerce sur lui. Mourir aujourd’hui pour ressusciter demain. Ce calcul cynique risquerait néanmoins de le couper de la gauche tout en provoquant plus que de la méfiance à droite. Décidément, le salut n’est pas facile à trouver.
Article publié sur Slate.fr
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