L’île aux milliardaires de Saint-Barthélémy (Antilles), au régime fiscal dérogatoire, a massivement voté pour Nicolas Sarkozy (82,7% des voix) tandis que La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ne lui accordait que 24,7% de ses suffrages. Au-delà de ces exemples caricaturaux, le Président sortant a réussi, le 6 mai, à mobiliser le « peuple de droite ». Il n’y a pas près de 17 millions de privilégiés en France.
Le Président sortant n’a pas perdu, autant qu’on aurait pu le croire, de terrain dans l’ensemble des classes populaires. Il n’est certes majoritaire que dans la catégories des artisans, commerçants et chefs d’entreprises (58%) selon la grosse enquête OpinionWay-Fiducial réalisée, le jour du vote, pour Le Figaro (1). Mais la sociologie des électorats réserve quelques surprises lorsqu’on la compare à une enquête du même type effectuée, le 6 mai 2007, par Ipsos pour France 2 et Europe 1.
Sarkozy recule moins chez les ouvriers
A en croire ces deux études, Sarkozy n’aurait finalement pas reculé chez les ouvriers en cinq ans, conservant 46% de leurs suffrages au tour décisif. Sa baisse électorale est d’autant plus marquée que l’on glisse vers les catégories sociales favorisées. Le « candidat du peuple » perd trois points chez les employés (46% contre 49%), cinq dans les professions intermédiaires (44% contre 49%) mais neuf parmi les cadres supérieurs et professions libérales (43% contre 52%).
Les couches populaires sont loin d’être homogènes et le candidat de la droite a visiblement su, par son discours, séduire certaines d’entre elles. Sarkozy a recueilli 49% des suffrages des salariés du secteur privé mais seulement 37% de ceux du public. Il résiste autrement mieux chez les titulaires d’un CDI (47%) que parmi les salariés en CDD (43%) ou en intérim (40%), son pire score étant atteint pour les chômeurs (36%).
Le type de logement occupé est également très prédictif du comportement électoral de ce dimanche. Sarkozy reste majoritaire chez les propriétaires de leur résidence principale (52%) et l’est presque parmi les accédants à la propriété (49%). Il est, à l’inverse, minoritaire chez les locataires du parc privé (40%) et encore plus chez ceux qui logent dans un HLM (34%). La religion pratiquée distingue encore deux ailes de populations. Ceux qui se définissent comme catholiques ont voté à droite, le 6 mai, à raison de 59% tandis que les musulmans ont soutenu la gauche pour... 93% d’entre eux.
Le vote sur la dette et l’immigration
Relevons enfin que si le vote Sarkozy croit au fur et à mesure que le revenu mensuel du foyer augmente, il s’élève tout de même à 41% chez ceux qui gagnent moins de 1 000 euros et 45% dans la tranche des 1 000 à 2 000 euros. Si le Président sortant obtient son meilleur score chez les personnes d’un niveau d’éducation égal ou supérieur de deux années au bac, il a aussi été soutenu par 47% de ceux qui sont moins diplômés.
Il existe ainsi tout un « peuple de droite » qui, malgré la crise et le bilan décevant du Président sortant, s’est reconnu dans son discours ou, à tout le moins, l’a préféré à son adversaire socialiste. Cet électorat a pu être sensible à la figure d’autorité et d’expérience de celui qui avait présidé cinq années aux destinées du pays.
L’inquiétude économique et l’insécurité culturelle semblent être les deux facteurs principaux du vote Sarkozy. La dette et les déficits (65%) ainsi que l’immigration (53%) sont les deux enjeux qui ont le plus compté pour les électeurs du candidat sortant. A l’inverse, ceux qui ont voté Hollande ont privilégié protection et inégalités sociales, emploi et pouvoir d’achat.
Dominant dans la France du Nord-Est
La géographie électorale confirme, à sa manière, cette fracture au sein des classes populaires qui rend compte du résultat relativement élevé obtenu par Sarkozy dans un contexte très défavorable. Le candidat de l’UMP résiste d’abord très bien dans les terres les plus marquées à droite : Bas-Rhin (où il ne recule que de 65,6% en 2007 à 63,4%), Alpes-Maritimes (68,1% à 64,2%) ou encore Haute-Savoie (63% à 60,1%). Par sa fougue jusqu’à la dernière minute, Sarkozy a réussi à mobiliser ses bastions.
Mais le candidat de droite a également réussi à convaincre une bonne partie de cette France du Nord-Est qu’il avait séduite en 2007. Dans cette partie du territoire où la désindustrialisation a fait rage, Sarkozy domine toujours. Il ne régresse qu’assez peu en Moselle (53,5% contre 56,6%) ou en Haute-Marne (54,5% contre 59,1%). Cette France populaire, qui n’a pas de forte tradition de gauche et qui reste une terre d’élection du Front national, a fini par préférer le Président sortant à son adversaire de gauche.
A l’opposé, le candidat de droite s’effondre à la fois dans des départements populaires à forte composante d’origine immigrée comme la Seine-Saint-Denis (34,7% contre 43,5%) et dans des terres rurales en proie à de multiples difficultés comme la Creuse (39% contre 46,7%) ou bien le Cantal (48,2% contre 55,7%).
La gauche marque des points dans certains secteurs de l’électorat le moins favorisé. Elle serait toutefois bien inspirée d’analyser ces résultats si elle ne souhaite pas abandonner, comme certains de ses intellectuels le lui recommandaient, une large fraction des classes populaires à la droite.
Article publié sur Rue89.
La grosse enquête OpinionWay-Fiducial réalisée, le jour du vote, pour Le Figaro ??? Aucune trace de cette enquête. Fabulations ?
Rédigé par : quid | 08 mai 2012 à 09h32
"son pire score étant atteint pour les chômeurs (36%)"
"les musulmans ont soutenu la gauche pour... 93% d’entre eux"
Les dindes ne votent pas pour Noël, c'est connu. Même si pour une certaine partie de l'électorat, on pourrait ressortir la vieille notion de classe "aliénée" (les ouvriers votant Sarkozy ou FN).
Ces résultats et ceux du premier tour confirment au contraire en partie les analyses de Terra Nova, demandant au PS de s'adresser aux exclus (dans une définition très large de ce terme).
Ceal ne suffit pas évidemment. Mais ce serait une erreur de copier la stratégie sarkozyste de la division, en opposant le "peuple" abstrait, le "vrai" peuple, et celui constitué des minorités et des laissés-pour-compte de la mondialisation.
Que Kalfon et Ferrand se réconcilient pour les législatives, et tout devrait bien se passer.
Rédigé par : D.H. | 08 mai 2012 à 10h57
"Ces résultats et ceux du premier tour confirment au contraire en partie les analyses de Terra Nova, demandant au PS de s'adresser aux exclus (dans une définition très large de ce terme)."
Non, pas dans une définition très large du terme : Terra Nova cible très précisément les populations immigrées et leur vivier démographique favorable à la gauche :
[...]La population des Français issus de l’immigration est en expansion démographique et en mutation identitaire : en 2006, près de 150.000 acquisitions de la nationalité française ont été accordées (cf. tableau ci-dessous), en augmentation de 60 % par rapport à 1995. Dans l’hypothèse d’une continuation à l’identique, ce sont entre 500.000 et 750.000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel sans avoir pu participer au précédent (…) Au-delà des non-religieux, ce sont aussi tous les non-catholiques, notamment les individus d’“autres religions”, composés à 80 % de musulmans, qui sont plutôt enclins à voter à gauche.
Dans ces conditions, la dynamique démographique est très favorable à la gauche. [...]
Ceux que vous appelez la classe aliénée, càd les ouvriers qui se sont fourvoyés en votant Sarko, avec tout le mépris caractéristique de la gauche pour eux, l'ont compris depuis longtemps (vous avez oublié 2002 ?). Ils savent qu'ils n'ont plus rien à attendre de cette gauche qui a opté pour l'immigration du sud pour refaire son socle électoral.
Avec un cynisme répugnant, puisqu'allant, à court terme, à l'encontre des intérêts des uns comme des autres. Et de la France.
Rédigé par : Anne | 08 mai 2012 à 18h20
Qu'est-ce que vous racontez?
La gauche n'a jamais "opté pour l'immigration du sud pour refaire son socle électoral".
Les immigrés sont entrés en France sous tous les gouvernements, de droite comme de gauche.
Ce sont des populations socialement défavorisées, et ils est normal que la gauche s'occupe d'eux. Sans les tracasser avec des considérations ethno-culturelles et dissimuler sa xénophobie derrière le discours de la laïcité comme Le Pen.
Il se trouve que les plus pauvres, les exclus sont le plus souvent d'origine immigrée. C'est bizarre, hein?
Par ailleurs Terra Nova n'est pas non plus, je pense, obsédé par les immigrés. Ce serait plutôt vous, si j'en crois la teneur de la plupart de vos messages.
... Ne serait-ce que lorsque vous m'interpellez dans un précédent post par la formule "les vôtres", comme si j'appartenais à une communauté précise..!
Je ne crois pas beaucoup dans un peuple abstrait, mais je ne découpe pas non plus le monde en communautés, en "miens" et en "vôtres".
Rédigé par : D.H. | 08 mai 2012 à 18h57
Monsieur, vous énoncez que selon cette enquête Opinionway pour le Figaro, 46% des ouvriers ont choisi Nicolas Sarkozy lors du 2nde tour de l'élection présidentielle.
Libération à paraître demain 9/05 reprend les chiffres de l'enquête viavoice et affirme que 68% des ouvriers ont voté en faveur de François Hollande.
Comment expliquer un tel écart entre ces deux enquêtes?
En vous remerciant.
Rédigé par : Samu | 09 mai 2012 à 00h02
Intéressante analyse. Mais ne croyez-vous pas qu'il faut récuser le débat à Gauche entre Terra Nova et la Gauche populaire, comme à droite entre la droite populaire et la droite "humaniste", au moins parce qu'aucun bloc ne peut imaginer de gouverner contre les grandes villes (classes moyennes éduquées) et de 'en dispenser dans la formation de son bloc électoral. Je serais cureiux d'avoir votre point de vue sur le parallèle sur ce point entre NS et FH faite dans l'édito de la revue Contreligne (www.contreligne.eu), et notamment sur la question du protectionnisme.
Rédigé par : stephan | 11 mai 2012 à 08h51