L’échec annoncé de Nicolas Sarkozy n’est pas étranger à une profonde erreur d’analyse de sa part. « La France est à droite, autant qu’elle l’était en 2007 et peut-être même plus », confiait-il à l’aube de la campagne présidentielle. Toute sa stratégie droitière, maintenue jusqu’à la caricature dans l’entre-deux tours, tient à ce postulat d’un pays majoritairement conservateur, pour ne pas dire réactionnaire.
François Hollande n’a pas commis l’erreur symétrique. Partageant le pessimisme de François Mitterrand, répétant que la gauche était minoritaire en France et qu’il convenait de séduire le centre pour gagner les élections, le candidat socialiste s’est montré prudent.
Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, il ne pense pas que le pays a basculé dans l’antilibéralisme. Hollande a saisi l’importance d’un positionnement de centre gauche lui permettant d’attirer une partie de l’électorat modéré.
Le vote personnel de François Bayrou en faveur du candidat de gauche est le fruit de ces deux choix stratégiques. Il sanctionne le basculement d’une fraction du centre, plus effrayé par la dérive droitière de Sarkozy que véritablement inquiétée par les projets de Hollande.
Une incontestable poussée à gauche
En 2007, Sarkozy était fondé à penser que la France était fermement ancrée à droite. En cinq ans, le paysage électoral a toutefois singulièrement bougé. Le total des voix de gauche, au premier tour de l’élection présidentielle, est passé de 30,7% des suffrages exprimés en 2007 à 42% en 2012, soit un bond en avant de onze points. La progression est également considérable si l’on additionne les voix de gauche et d’extrême gauche : de 36,4% à 43,8% des voix.
A l’inverse, le total des voix de la droite parlementaire chute, en cinq ans, de 33,4% à 29% des suffrages. Certes, l’addition des voix de droite et d’extrême droite est en progrès en raison de la forte poussée du FN : de 43,9% à 46,9%. On pourrait même prétendre que la France continue à pencher du même côté avec un total des voix des droites supérieur à celui des gauches.
Cela suppose pourtant de qualifier sans discussion d’extrême droite l’électorat du FN. Or, non seulement Marine Le Pen rejette avec virulence cette étiquette, mais elle ne se revendique même pas de la « droite nationale », comme c’était le cas de son père.
La présidente du Front prétend se situer « ni à droite, ni à gauche ». Si la filiation extrémiste du FN est incontestable, la stratégie « mariniste », dont l’autonomie se déploiera lors des prochaines législatives, interdit d’agglomérer ses soutiens électoraux dans un même bloc des droites.
Une mutation idéologique
La déception provoquée par le sarkozysme n’est pas la raison la plus profonde de cette évolution à gauche des équilibres politiques. C’est plutôt la crise économique, par son ampleur et ses ravages sociaux, qui a suscité une large remise en cause d’un capitalisme financier non seulement injuste mais menacé d’écroulement.
Dans les couches populaires, la question sociale est désormais redevenue première. Contrairement à ce qu’imaginait Sarkozy, les préoccupations liées à l’immigration et à l’insécurité ne pouvaient plus, en 2012, prendre le pas sur des angoisses économiques si répandues.
Le grand mouvement de manifestations contre la réforme des retraites, en 2010, s’est soldé par un échec cuisant mais aussi par une revalorisation de l’image des syndicats dans l’opinion. Fin novembre, une enquête TNS-Sofres indiquait que 54% des Français faisaient « tout à fait ou plutôt confiance » aux syndicats pour les défendre, contre 46% à la mi-septembre.
En période de crise économique aiguë, les syndicats font figure de précieux protecteurs. Là encore, Sarkozy ne l’a pas compris, comme en témoigne sa provocation du 1er mai. Il en est resté à une vision datée, héritée des décennies antérieures, où les confédérations ouvrières étaient jugées négativement par une majorité de l’opinion publique.
France de droite, vote à gauche ?
Tout ceci ne signifie pas que la France a clairement basculé à gauche. Un verdict électoral n’est pas une boussole idéologique. Hollande devrait gagner dimanche grâce au concours décisif d’électeurs lepénistes et bayrouistes qui ne se sentent nullement appartenir à la grande famille de la gauche.
Pour autant, je ne crois pas qu’on puisse inverser une formule célèbre utilisée par la politologues à la fin des années 70 : « France de gauche, vote à droite ». Avant la victoire de Mitterrand en 1981, une hégémonie idéologique progressiste coexistait avec des succès électoraux du camp conservateur.
Aujourd’hui, la France s’apprête à voter à gauche sans qu’on puisse la proclamer de droite. C’est plutôt un pays en mouvement qui s’apprête à porter Hollande à l’Elysée.
Article publié sur Rue89.
Commentaires