On peut s’engager, avec panache, dans un combat politique courageux et malgré tout commettre une véritable faute politique. C’est ce que l’on peut craindre avec la « bataille politique exemplaire » que nous promet Jean-Luc Mélenchon contre Marine Le Pen à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
Des observateurs qui aiment bien l’ancien candidat du Front de Gauche, et n’ont rien d’irréductibles adversaires, comme Bernard Langlois, l’ancien directeur de Politis, (ou encore l’auteur de ces lignes), avaient vainement tenté de le dissuader, sur Twitter, de se lancer dans pareille entreprise. Langlois écrivait ainsi dès le 11 mai :
« A mon avis, la (belle) campagne de jean-Luc Mélenchon a patiné quand il s’est focalisé sur Marine Le Pen. Il a tort d’aller s’enfermer à Hénin-Beaumont dans un nouveau face-à-face. »
Future victime de l’hyper-médiatisation
Ecartons, tout d’abord, les faux procès. Mélenchon ne se présente pas dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais pour soigner sa publicité personnelle. Sa notoriété n’a rien à y gagner. Bien au contraire, son image peut en sortir abîmée. Le chef du Parti de Gauche est, on le sait, d’un tempérament sanguin. La « bataille homérique » qu’il s’apprête à livrer contre le FN dans son fief promet d’être violente. Voilà qui risque d’accentuer l’image d’agressivité qui lui colle à la peau.
Accuser Mélenchon de se rendre complice d’un show médiatique n’a pas non plus grand sens. L’ancien candidat du Front de Gauche sait résister, quand il le faut, à la politique spectacle. Mais le duel qui l’opposera en juin à la présidente du Front national tournera forcément à une hyper-médiatisation dont on peut craindre qu’il soit lui-même la principale victime !
Les pauvres habitants d’Hénin-Beaumont vont devoir cohabiter quelques semaines avec une armada de journalistes débarqués d’une autre planète.
Le traitement des médias ayant peu de chances d’être majoritairement favorable à Le Pen, Mélenchon pourrait bien apparaître, aux yeux de la population, comme « le candidat du système ».
D’ores et déjà, le ton de certains journaux a changé. Libération fait aujourd’hui sa manchette avec une interview du patron du PG : « Face au FN, je dois monter à la barricade. »
La discutable focalisation sur le FN
Focaliser la campagne des législatives sur le Front national est un choix stratégique hautement discutable. Par son initiative, Mélenchon offre à Le Pen un statut d’adversaire privilégiée au moment même où la gauche redevient majoritaire, tout en devant combattre une droite qui a prouvé sa capacité de résistance le 6 mai.
Il est périlleux de confier aux habitants de cette circonscription déshéritée le soin d’arbitrer, par « une décision historique », entre « le mouvement ouvrier » et « l’extrême droite », comme l’ancien sénateur socialiste l’a déclaré ce lundi matin sur France Inter. Gageons que ces références idéologiques et historiques laisseront assez indifférent un ancien bassin minier où l’on a trop souffert pour être sensible à ces concepts.
« La misère et la bêtise »
Bernard Tapie avait défié sans succès Jean-Marie Le Pen en Provence-Alpes-Côte d’Azur lors des régionales de 1992. Le militant Mélenchon n’a rien à voir avec cet homme d’affaires. Il ne placera pas le combat sur un terrain « moral » et s’efforcera de démontrer la nocivité des solutions proposées par le FN pour résoudre les problèmes auxquels est confrontée une population où le taux de chômage tourne autour de 20%.
Il lui faudra pourtant trouver des mots mieux ajustés que ceux qu’il a employés sur France-Inter :
« Qu’est-ce qui fait monter le FN en France, c’est Jean-Luc Mélenchon ou bien la misère ? Eh bien, moi, je vous le dis, c’est la misère et la bêtise parce que les deux marchent ensemble quand on vote FN, parce que ce n’est pas très malin quand on souffre si durement socialement d’aller voter pour quelqu’un qui va aggraver sa situation. »
Division de la gauche
L’anti-fascisme et l’attachement au « socialisme historique » risquent d’être d’un faible secours pour Mélenchon. Son entreprise s’annonce d’autant plus problématique qu’il va devoir affronter de sérieuses concurrences à gauche.
- le maire de Carvin, le candidat socialiste Philippe Kemel représente un courant bien implanté localement même s’il est divisé ;
- la candidate écologiste, Marine Tondelier, jouit d’une bonne réputation.
En l’absence d’un accord à gauche, la candidature de Mélenchon accentuera la division de ce camp, ce qui ne peut que favoriser le FN. Il sera contraint, comme il l’a déjà fait, d’attaquer le PS.
Le président du PG peut échouer au premier comme au second tour. Dans cette circonscription, Mélenchon n’a recueilli que 14,9% des voix au premier tour de la présidentielle contre 28,8% à Hollande et 31,4% à Le Pen. Même si elle a voté Hollande à 57,2% le 6 mai, la circonscription est tout à fait gagnable par le FN.
Le Front de Gauche en danger
Une défaite de Mélenchon menacerait l’avenir d’un Front de Gauche qui reste fragile. Aujourd’hui même, le PG a mis en garde le PCF contre ses négociations bilatérales avec le PS pour les circonscriptions menacées par le FN.
Conforté par son succès à l’élection présidentielle, Mélenchon est un ciment indispensable du Front de Gauche. Sa candidature à Hénin-Beaumont fait courir un sérieux risque à cette audacieuse construction politique.
Modification à 19H06 : « bataille homérique », le terme employé par Mélenchon sur France Info le 11 mai, remplace « bataille de chiens », expression citée à tort dans la mesure où l’ancien candidat annonçait, le même jour, à Hénin-Beaumont : « Il n’y aura pas ici de bataille de chiens ».
Article publié sur Rue89.
Votre démonstration n'est absolument pas convaincante et déjà ambiguë par son titre même.
Si l'on postule que la candidature de JL Mélenchon aux législatives au titre du Front de Gauche est légitime (ce que vous ne déniez pas) et que le combat contre l'extrême-droite devient prioritaire en raison de son développement à l'échelle de l'Europe pour cause crise profonde (ce que vous ne déniez pas non plus), alors toute votre argumentation relève d'une vision politicienne au détriment précisément des valeurs politiques profondes que le FdG et JL Mélenchon ont portées tout au long de cette campagne présidentielle. Ce n'est pas parce que Bernard Langlois estime que cette campagne a patiné dès lors que JL Mélenchon a remis au centre du débat le danger de fascisation que cela lui donne raison en laissant accroire que cette campagne a viré à l'obsession anti-Lepen. Ce qui est objectivement faux. J'estime par ailleurs que vous faites preuve d'un certain mépris à l'égard des citoyens électeurs de la 11ème circonscription du Pas de Calais en affirmant ceci : "Il est périlleux de confier aux habitants de cette circonscription déshéritée le soin d’arbitrer ... pour être sensible à ces concepts". Je suis surpris et désolé de constater qu'un journaliste comme vous ou comme Bernard Langlois, dont on sait les inquiétudes face au péril fasciste croissant, ne perçoive pas l'intérêt politique salutaire et urgent qu'il y a à affronter directement sur le terrain géographique et électoral sa représentante nationale, dont par ailleurs beaucoup, et peut-être vous-même, ont déploré la médiatisation complaisante. C'est tout à l'honneur du Front de Gauche et de JL Mélenchon de se lancer dans cette bataille (guerre ?), indépendamment du risque d'échec électoral du candidat mais certainement pas du Front et du porte-parole qu'il est, risque dont il a fait lui-même état dans sa conférence de presse.
J'ai le sentiment, par vos propos timorés, que vous cédez à la pression du chantage médiatique. Gageons de JL Mélenchon saura faire de cette campagne autre chose que ce qu'en espèrent les médias. Je vous renvoie à sa conférence de presse.
Cordialement.
Rédigé par : Victor B | 15 mai 2012 à 15h00
Sans vouloir faire mon provo, j’aimerais bien savoir quels mots mieux ajustés que « misère et bêtise » aurait dû employer JLM (dont je ne suis pas un irréductible partisan).
Parce que, comme la câlinothérapie est inopérante avec ces gens, sauf quand elle vient à toute vapeur de la Marine, il vaut mieux passer comme Mélenchon à la calottothérapie. Il n’aura pas les voix des vrais fhaineux, mais s’il arrive à expliquer aux autres dans quelle fosse marine les emmène la sirène…
Rédigé par : PMB | 15 mai 2012 à 16h47
@ Victor B
Ce n'est pas parce que Bernard Langlois estime que cette campagne a patiné dès lors que JL Mélenchon a remis au centre du débat le danger de fascisation que cela lui donne raison en laissant accroire que cette campagne a viré à l'obsession anti-Lepen.
Non, c'est parce que la campagne de JLM a patiné dès lors qu'il a remis au centre du débat le danger de fascisation que cela donne raison à Bernard Langlois d'affirmer que cette campagne a viré à l'obsession anti-Lepen. Vous inversez la cause et l'effet.
Je vous retournerais d'ailleurs l'argument: ce n'est pas parce que JLM pense qu'il y a "un intérêt politique salutaire et urgent à affronter directement sur le terrain géographique et électoral" MLP que vous avez raison de le croire.
La vérité est qu'il est plus facile d'attaquer MLP et le fascisme que l'Europe libérale et la mondialisation.
Surtout, JLM ne veut pas se fâcher avec le PS qui a participé à la création de l'Europe libérale voulue par FM et réalisée par Jacques Delors.
Rédigé par : chatel | 15 mai 2012 à 21h10
à Chatel
Avec tout le respect que je vous dois, je crois que vous donnez triplement dans le sophisme : - Eric Dupin cite Bernard Langlois comme appui à sa thèse que vous défendez.
- Si l'on croit qu'on a tort de penser qu'on a raison de croire en ses convictions c'est qu'on est soit un imposteur soit un nihiliste absolu (et encore) soit quelque peu confus mentalement.
- La vérité (mais il semblerait d'après vous qu'elle soit très difficile à établir) est que JL Mélenchon et le Front de Gauche combattent le libéralisme avec sa variante sociale-démocrate ET l'extrême-droite avec ses variantes fascistes, cela allant de pair avec ceci.
Rédigé par : Victor B. | 22 mai 2012 à 10h55
@ Victor B
- Eric Dupin cite Bernard Langlois comme appui à sa thèse que vous défendez.
E. Dupin précise que B. Langlois pense lui aussi que JLM a tort de se «focaliser sur MLP » mais il ne dit nullement -ce qui serait absurde- que JLM a tort de « se focaliser sur MLP » puisque c’est ce que pense BL. Eric Dupin sait certainement que l’argument d’autorité est sans valeur (quand bien même l’autorité invoquée serait-elle celle de BL...).
- Si l'on croit qu'on a tort de penser qu'on a raison de croire en ses convictions c'est qu'on est soit un imposteur soit un nihiliste absolu (et encore) soit quelque peu confus mentalement.
Je ne dis absolument pas que JLM ne devrait pas agir en fonction de ses convictions. Je pense seulement qu’en axant son combat sur MLP, il fait passer au second plan sa critique de l’ultralibéralisme, il renforce les électeurs du FN dans leur idée que le vote MLP est le seul vote antisystème et il se coupe d’une partie de l’électorat populaire qu’il devrait au contraire chercher à conquérir (sans user pour autant, bien entendu, de démagogie).
- La vérité est que JL Mélenchon et le Front de Gauche combattent le libéralisme avec sa variante sociale-démocrate ET l'extrême-droite avec ses variantes fascistes, cela allant de pair avec ceci.
En allant se présenter à Hénin-Beaumont contre MLP, JLM donne le sentiment de privilégier le combat contre « l'extrême-droite avec ses variantes fascistes ». Acceptez d’en convenir.
Rédigé par : chatel | 26 mai 2012 à 11h06
Bon pronostic pour Mélenchon : personnellement, je l'imaginais plutôt réussir son parachutage (Jack Lang y arrive bien) mais comme je me trompe toujours...
Rédigé par : Nikita Malliarakis | 11 juin 2012 à 10h25