Dans son livre « La Victoire empoisonnée » (éd. Seuil), qui vient de paraître, le journaliste politique Eric Dupin, qui a chroniqué la campagne électorale sur Rue89, établit un parallèle entre François Hollande et l’homme politique de la IIIe et IVe République Henri Queuille, suggéré par Hollande lui-même. Extrait de la conclusion du livre.
La réalité de son caractère est presque aussi mystérieuse que celle de son identité idéologique. Pour tenter d’y voir plus clair, le mieux est encore de partir des diverses influences qu’il a subies.
Dans la formation du nouveau président, le rôle de Mitterrand est premier. C’est auprès de lui que Hollande a fait son apprentissage politique, débutant modestement dans les soupentes de l’Élysée. Sa syntaxe, sa gestuelle, son art de l’ambiguïté sont, à coup sûr, d’inspiration mitterrandienne.
L’influence de Lionel Jospin vient juste après. C’est l’ancien Premier ministre qui l’a associé à l’exercice du pouvoir, à partir de 1997, comme numéro un du PS. A son contact, Hollande a pu apprendre la gestion des équilibres politiques, une science typiquement jospinienne.
La trace de Jacques Delors, dont le nouveau président a été très proche dans les années 90, n’est pas non plus à négliger. C’est ici le souci du réalisme économique et l’attachement à l’aventure européenne qui ont marqué le futur chef de l’Etat.
Ajoutons enfin l’imprégnation corrézienne. Hollande a retenu de Jacques Chirac l’importance décisive du contact humain et du travail de terrain.
La clef du petit père Queuille
Osons pourtant l’hypothèse que la clef du personnage est peut-être ailleurs, enfouie dans le passé national. C’est François Hollande lui-même qui nous a mis sur la voie en vantant les mérites d’Henri Queuille en Corrèze, puis à la télévision. Il a beau jurer que ce dirigeant radical de la IVe République n’est nullement son « modèle », la chaleur avec laquelle le candidat socialiste d’alors m’en a parlé est révélatrice d’une forme de projection.
La lecture de la biographie que Francis de Tarr a consacrée au PPQ – « Petit père Queuille », selon l’expression consacrée de l’époque – suggère de saisissants parallèles entre les personnalités de l’ancien président du Conseil et du nouveau président de la République. [...]
Hollande entend bien, dans une première phase, privilégier l’apaisement après l’agitation perpétuelle de Sarkozy. Le nouveau Président saura-t-il ensuite se hisser à la hauteur des redoutables défis qui se présenteront inexorablement à lui ? Se révélera-t-il n’être qu’un pitoyable « capitaine de pédalo » perdu dans la « saison des tempêtes », comme l’a sévèrement anticipé Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle ?
Au moins le nouveau chef de l’Etat sera-t-il protégé des sarcasmes par un sens de l’humour qui était aussi l’apanage du PPQ. « Tout le problème est de savoir quand et comment nous en sortirons », s’amusa à confier, à ses amis, Queuille au moment de prendre les rênes du gouvernement en égrenant la somme des périls qui lui étaient promis.
Le risque du conformisme
A sa manière, Hollande cherchera lui aussi « comment s’en sortir ». Le Président nouvellement élu n’est ni un doctrinaire, ni un visionnaire. Il ne s’en cache pas. La grande inconnue est de savoir s’il se contentera de trouver, pour chaque problème, la porte de sortie politiquement la moins inconfortable ou s’il aura l’audace de prendre à bras-le-corps les lourds défis de l’époque.
La crise européenne est loin d’être achevée. La pérennité de l’euro aucunement garantie. Les formes mêmes de l’actuelle Union européenne seront peut-être radicalement remises en cause dans un avenir proche. La sortie de crise économique s’annonce tout aussi problématique. Comment conjuguer la priorité accordée à la réduction des déficits publics avec une politique de croissance ? Par quels moyens réduire le chômage de masse, la précarité généralisée, toutes les angoisses sociales qui minent le moral national ? Hollande aura-t-il le courage de s’attaquer aux véritables privilégiés et d’engager le combat contre la financiarisation de l’économie ou les excès de la mondialisation ?
Rien n’est moins sûr. L’entourage économique du nouveau Président est généralement frappé du sceau de l’orthodoxie pour ne pas dire du conformisme. Jérôme Cahuzac s’est régulièrement posé, au cours de la campagne, en gardien sourcilleux d’équilibres financiers qui font peu de cas de l’ampleur des difficultés sociales à résoudre.
Hollande est demeuré proche de Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes du gouvernement Fillon et actuellement président de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il songe d’ailleurs à lui confier certaines missions sans pour autant le nommer au gouvernement.
Parmi la quarantaine d’économistes qui ont signé un appel en faveur de Hollande, certains sont liés à l’establishment à travers leur présence dans des conseils d’administration ou leurs fonctions auprès des banques. C’est le cas de Daniel et Elie Cohen, Jean-Hervé Lorenzi, ou encore Jacques Mistral qualifiés d’« économistes à gages » par Le Monde diplomatique. Les intérêts en place sont puissants et les élites financières sauront se défendre.
On l’a vu aux Etats-Unis où Barack Obama, qui s’était affiché comme le candidat de « Main Street » contre « Wall Street », n’a pas osé affronter cette dernière. Il est à craindre que Hollande ne manifeste la même frilosité à l’égard des véritables puissances d’aujourd’hui.
Hollandisme révolutionnaire ?
Il faut avoir le sens de l’originalité paradoxale propre à Emmanuel Todd pour parier sur un « hollandisme révolutionnaire ». Le démographe défend une thèse audacieuse :
« Je parie sur sa souplesse d’esprit et sa capacité de rassemblement. Il a le bon profil pour présider au vaste débat sur la globalisation économique qui aura immanquablement lieu après l’élection.
Ce qui orientera l’action de Hollande, c’est moins son opinion personnelle que celle des classes moyennes et supérieures ; or elles sont en train de se détourner du libre-échange et peut-être même de l’euro. »
Todd va sans doute un peu vite en besogne. L’argumentation selon laquelle le nouveau Président pourrait être conduit, sous la pression des événements, à aller bien au-delà de ce qu’il aurait pu envisager n’est pas pour autant à négliger. Souhaitons que Hollande soit pris à son propre piège d’avoir placé l’« égalité » au cœur de son propos.
Un bon usage du hollandisme le conduirait, par un pragmatisme soumis à l’évolution des rapports de forces dans la société, à gouverner en cohérence minimale avec les valeurs fondatrices de la gauche. Par les remises en cause radicales qu’elle entraînera, la crise actuelle – qui signe l’épuisement de tout un modèle de développement productiviste et inégalitaire – le poussera peut-être à un changement autrement plus profond que celui qui a été esquissé par le candidat socialiste de 2012.
Au fond, c’est moins d’un nouvel Henri Queuille que la France aurait besoin que d’une version contemporaine de Franklin Delano Roosevelt. François Hollande saura-t-il être l’artisan d’un « new deal » qui devrait inévitablement prendre une dimension européenne ?
Il existe sans doute des antidotes aux poisons de la crise d’un capitalisme financier décadent. A défaut de les rechercher hardiment, Hollande s’expose à enchaîner les empoisonnements dans une périlleuse conduite des affaires du pays.
Article publié sur Rue89.
Ce livre sonne vraiment bien. Je suis impatient de lui et l'acheter à l'avenir. Un ami à moi aussi me dire à ce sujet ..
Rédigé par : location villa espagne costa brava | 21 mai 2012 à 12h56