François Hollande n’a toujours pas choisi son futur Premier ministre. Et si Martine Aubry s’est mise en position d’accéder à l’hôtel Matignon, rien n’assure qu’elle trouvera un modus videndi avec le prochain Président. Parions pourtant que les deux finalistes de la primaire socialiste se retrouveront bientôt à la tête de l’Etat.
J’entends d’ici les critiques. « Mais vous brûlez les étapes ! » Je plaide coupable : cela fait six mois que j’ai une fâcheuse tendance à vendre la peau de l’ours sarkozien avant que l’électorat ne l’achève. A en juger par la triste mine arborée lundi par le Président sortant dans la Vienne, le pronostic s’est beaucoup répandu.
Il existe aussi une raison simple pour discuter de cette question avant même le premier tour : le choix du Premier ministre dépendra des équilibres politiques qu’il révèlera. C’est bien le 22 avril que les rapports de forces entre les différentes composantes de la future majorité présidentielle seront mesurés.
Une froide logique de situation
La probabilité de l’accession de la première secrétaire du PS à la tête du gouvernement tient d’abord à une froide logique de situation. Historiquement, sous la Ve République, le premier Premier ministre d’un mandat présidentiel n’est pas un proche du chef de l’Etat – comme l’est aujourd’hui Michel Sapin – mais une personnalité qui a le plus contribué à son élection.
En 1981, François Mitterrand avait nommé à Matignon Pierre Mauroy, son ancien adversaire du congrès de Metz (1979). Nul ne conteste que la maire de Lille, malgré ses anciens démêlés avec le président de la Corrèze, se soit loyalement et totalement mise au service du candidat socialiste. Ce rassemblement du PS, auquel Hollande aura lui aussi été attentif, restera comme un facteur majeur de la victoire en 2012.
L’architecture institutionnelle à laquelle songe Hollande milite également en faveur de l’option Aubry. Prenant le contre-pied de l’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy, Hollande souhaite travailler avec un Premier ministre fort qui soit le vrai chef de la majorité. Du haut de ses multiples expériences ministérielles et de son bilan honorable à la tête du PS, Aubry a le profil.
C’est moins le cas de Jean-Marc Ayrault, l’autre candidat le plus en situation de décrocher l’hôtel Matignon. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale n’a nullement démérité à ce poste. Mais il n’a jamais été ministre. Avoir à la tête de l’exécutif un couple dont aucun des membres n’a tâté auparavant des manettes de l’Etat serait une nouveauté...
Par son goût du consensus, Ayrault ferait, par ailleurs, un peu double emploi avec Hollande. Et les positions généralement modérées prises par le maire de Nantes dans les débats internes au PS ne le mettront pas forcément en phase avec les équilibres des prochaines majorités présidentielle et législative.
C’est à gauche que les socialistes vont être contraints de regarder à nouveau. François Bayrou, dont on peut parier qu’il ne tombera pas de ce côté, ne fait plus figure de partenaire possible. Aubry est la mieux placée pour gérer une majorité de gauche où les socialistes seront alliés aux écologistes tout en devant prendre en considération l’influence nouvelle du Front de Gauche.
Un social-démocrate modéré, une démocrate-chrétienne radicalisée
Un couple Hollande-Aubry à la tête de l’Etat serait sans doute souhaitable du point de vue des intérêts de la gauche dans le contexte actuel. Ces deux personnalités sont admirablement complémentaires dans leur manière de faire de la politique.
Au président de la République le soin de rassembler, de rassurer, d’arbitrer avec tout l’art tactique et stratégique qu’on lui connaît. Au chef du gouvernement la tâche de décider, de trancher, de donner l’impulsion au changement promis. Hollande est un virtuose du jeu politique tandis qu’Aubry s’épanouit dans la conduite des politiques publiques. Un partage des rôles pourrait être facile à trouver.
La complémentarité vaudrait également sur le fond. En caricaturant à peine, Hollande est un social-démocrate modéré tandis que Aubry est une démocrate-chrétienne radicalisée. Le premier est un hériter de la « première gauche » des décennies antérieures, focalisée autour de l’Etat, dans sa variante conciliante. La seconde a repris de la « deuxième gauche » un goût plus prononcé pour le changement social et l’innovation. Aubry a mieux saisi que Hollande la profondeur de la crise de notre modèle de développement.
Un duo Hollande-Aubry constituerait enfin un couronnement pour le système des primaires socialistes. Les sympathisants de gauche, qui avait sélectionné ces deux dirigeants pour le second tour, auraient, d’une certaine manière, à la fois choisi le chef de l’Etat et son Premier ministre.
Ajoutons encore que les Français eux-mêmes semblent attendre la maire de Lille. Un sondage BVA effectué en février indiquait qu’Aubry était de loin la personnalité « préférée » pour le poste de Premier ministre (50%), loin devant Pierre Moscovici (17%), Laurent Fabius (11%), Jean-Marc Ayrault (10%) et Michel Sapin (9%).
Dépasser les affects
Oui, mais rien n’est encore fait. En fait, c’est le contentieux psychologique entre nos deux héros qui pourrait tout faire capoter. Les mots très durs échangés entre deux ne peuvent avoir été oubliés. Or, il est impératif que le nouveau Président puisse nouer une relation de confiance avec son chef du gouvernement.
Hollande est, semble-t-il, disposé à dépasser les anciens conflits et à ne pas tenir rigueur à Aubry du mépris sous lequel elle a pu l’accabler. En dépit de ses airs bonhommes, le candidat socialiste reste maître de ses émotions. Il ne laissera pas ses sentiments guider ses choix.
Au jeu du contrôle des affects, Aubry est peut-être moins aguerrie. Il ne fait guère de doute qu’elle a envie de gouverner. Elle a déjà annoncé vouloir quitter la tête du PS.
Mais saura-t-elle faire l’effort nécessaire pour parvenir à un terrain d’entente avec son ancien rival ? Un doute subsiste. L’ancienne ministre de Lionel Jospin est un personnage complexe, à la fois passionnée et loyale, parfois manœuvrière et à l’occasion politique. La raison devra l’emporter si elle veut sceller une entende avec Hollande.
Article publié sur Rue89.
Durant la campagne, François Hollande a dit des choses très intéressantes et réconfortantes sur le fonctionnement des institutions, et le rôle du Président. On n’y a d’ailleurs pas beaucoup prêté attention dans les médias, il me semble. Ce n’est pas un retour à une pratique parlementariste des institutions, mais c’est presque cela : le Président préside, et le Premier ministre gouverne, avec l’appui de sa majorité à l’Assemblée nationale.
Mais au lieu qu’il s’agisse d’une logique institutionnelle et politique, Eric Dupin y voit plutôt la rencontre presque fortuite de deux personnalités complémentaires, l’une où domine l’esprit d’équilibre et de compromis (Hollande), l’autre guidée par l’action et la passion de faire (Aubry). Eric Dupin a probablement raison, et c’est bien là le problème : quelle fragilité de notre système politique dont le fonctionnement dépend de la personnalité des individus qu’il met en place ! Mais c’est peut-être aussi tout ce qui fait le charme de notre vie politique.
Rédigé par : René Fiévet | 20 avril 2012 à 00h48
La "démocrate-chrétienne" Martine Aubry à Matignon, ce sera notre Angela Merkel à nous, mais quand même plus à gauche que l'autre.
Par contre si Eva Joly est Ministre de la Justice, N. Sarkozy risque bien de se voir infliger des Travaux d'Intérêt Général...
J'irai le regarder tiens, cet été, tondre les pelouses des parcs à Neuilly, sur son petit engin motorisé.
Rédigé par : D.H. | 20 avril 2012 à 11h00
@ René Fievet
Durant la campagne, François Hollande a dit des choses très intéressantes et réconfortantes sur le fonctionnement des institutions, et le rôle du Président.
Je serais pour ma part beaucoup plus nuancé. Certes, FH veut rompre avec la pratique du pouvoir de NS. Mais je crains qu’il ne renoue en fait avec celle, non moins détestable, de FM et de JC qui consistait à s’attribuer tous les succès et à faire payer les échecs au 1er ministre.
FH risque de toute façon de se retrouver confronté à une difficulté majeure car il n’est pas sûr qu’il puisse disposer d’une majorité, le vote FH étant un vote anti NS plus qu’un véritable vote d’adhésion. Peut-être devra-t-il gouverner (par l’intermédiaire de son 1er ministre) en pratiquant des alliances à géométrie variable, tantôt avec la droite tantôt avec la gauche. Et face à une double opposition, de gauche et de droite, et à une opinion de plus en plus tentée par des solutions radicales qui lui paraissent commandées par la gravité de la situation actuelle, la position de FH pourrait rapidement se révéler très inconfortable.
Rédigé par : chatel | 20 avril 2012 à 16h31
//l’autre guidée par l’action et la passion de faire (Aubry)//
Sauf quand il s'agit de chasser les brebis galeuses pour affaires de mœurs ou de corruption, et là Martine se met courageusement aux abonnés absents.
Bon, tout n'est pas perdu : le ps veut virer le maire d'une petite commune de 182 habitants qui, démocratiquement, a parrainé MLP.
Plus facile de virer ce maire que de virer Kucheida, DSK, Mellick, Mahéas, Guérini, etc.
Rédigé par : PMB | 21 avril 2012 à 12h05