Au-delà des équilibres globaux d’un scrutin favorable à la gauche, le premier tour de l’élection présidentielle restera marqué par deux poussées lourdes de conséquences pour l’avenir : l’influence inédite du Front national et l’installation du Front de Gauche dans le paysage politique. L’analyse géographique et sociologique du vote permet de mieux cerner la nouveauté de ces phénomènes.
Le FN à la reconquête du Nord-Est
Jamais le Front national n’avait rassemblé autant d’électeurs : 6,4 millions contre 4,8 en 2002. Son succès du 22 avril montre sa capacité à coaguler plusieurs électorats différents. Grâce à sa thématique élargie et à une réputation moins sulfureuse que son père, Marine Le Pen additionne différentes strates successives.
La candidate du FN conserve d’abord des scores importants sur la façade méditerranéenne où l’extrême droite avait effectuée ses premières percées dans les années 80. Le Pen recueille 24,8% des suffrages exprimés dans le Var, 24,2% dans les Pyrénées-Orientales, 23,4% dans les Bouches-du-Rhône ou encore 23,5% dans les Alpes-Maritimes. A Menton, paisible commune du littoral à la population surtout aisée et âgée, elle obtient 25,7% des voix.
Marine Le Pen a ensuite reconquis le Nord-Est de la France, à la tradition industrielle malmenée, qui avait voté pour son père en 2002 mais s’était laissé séduire par Nicolas Sarkozy en 2007. Elle capte ainsi 24,7% des voix en Moselle et même 28,2% dans la commune symbolique de Gandrange où elle devance nettement Sarkozy (19%). Il y a cinq ans, dans ce lieu marqué par la crise de la sidérurgie, le candidat de l’UMP était en tête avec 25,6% des voix contre seulement 16,2% à Jean-Marie Le Pen.
La candidate du FN multiplie les performances dans ces terres dominées par une souffrance sociale. Elle enregistre ainsi 25,3% des suffrages en Haute-Marne, arrivant en tête dans la petite commune de Rachecourt-sur-Marne (avec 32,7%) frappée par la désindustrialisation. L’Aisne (26,3%), les Ardennes (24,5%) ou encore l’Oise (25,1%) lui attribuent également de très beaux scores. Dans ce dernier département, signalons les 32,5% rassemblés à Granvilliers, bourg du plateau picard confronté à une hausse de l’insécurité.
Un Front nationalisé
Le succès du FN tient cependant aussi à l’élargissement de son influence dans des territoires qui lui étaient autrefois peu favorables. Les élections cantonales de 2011 avait déjà révélé une progression de ce parti dans la France de l’Ouest, mais aussi dans des zones rurales où vivent des couches populaires chassées des villes par le prix de l’immobilier.
Le Pen ne se situe en-dessous de 12% que dans un seul département de Bretagne, celui du Finistère, alors que cette région de culture catholique et de faible présence immigrée boudait autrefois le FN.
Elle obtient 19,2% dans la Sarthe, terre de tradition pourtant modérée, soit nettement plus que son père en 2002. Relevons encore sa performance dans le département rural de la Creuse, aux prises avec diverses formes de désertification. Avec 16,3% des voix, Marine Le Pen y fait beaucoup mieux que son géniteur il y a dix ans (11,2%).
Le « candidat du peuple », majoritaire à Saint-Trop’
La reconquête d’une partie des territoires populaires par le FN ferme ainsi la parenthèse sarkozyste. La géographie du vote du candidat de l’UMP est dominée par ses performances dans les départements les plus conservateurs comme la Vendée (32,9%) ou la Haute-Savoie (34,1%). Sarkozy cartonne dans les opulentes et vieillissantes Alpes-Maritimes (37,2%). Dans le Var, il fait une pointe à 58,3% à Saint-Tropez.
Le « candidat du peuple » bat ses records à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), refuge des assujettis à l’ISF, avec 72,6% des voix, François Bayrou devant se contenter de 7,5% des suffrages.
Une vaste enquête OpinionWay-Fiducial, réalisée le 22 avril auprès de 10 418 votants pour Le Figaro, permet de préciser les profil sociologique de ces électorats. Le Pen arrive bien en première position chez les ouvriers (35%) et les personnes les plus faiblement diplômées (29%). Elle est devancée de peu par Hollande dans les foyers qui gagnent moins de 1 000 euros par mois (24% contre 27%) et dans la tranche des 1 000 à 1 999 euros (28% contre 23%).
A l’opposé de sa performance de 2007, Sarkozy n’a plus été soutenu dimanche que par le peuple de droite traditionnel. Son score culmine parmi les électeurs de plus de 60 ans (39%), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (42%) ou encore les foyers au revenu mensuel supérieur à 3 500 euros (37%).
La diversité du vote Mélenchon
La géographie du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon ne rappelle que très partiellement la carte d’influence historique du communisme en France. Le candidat du Front de Gauche obtient certes de beaux scores dans d’anciennes terres rouges comme la Haute-Vienne (14,4% des voix). On note aussi ses performances dans l’Ariège (16,9%) ou les Alpes-de-Haute-Provence (15,2%).
Dans la France du Nord-Est, Mélenchon est plus à la peine même s’il recueille 12,1% des suffrages en Meurthe-et-Moselle. A l’Ouest, il obtient des scores assez surprenants en Bretagne tels les 11,5% de voix recueillis dans le Finistère. Là encore, ses résultats témoignent d’une capacité à coaguler des électorats divers.
La région parisienne en témoigne. Mélenchon cartonne dans le Paris du Nord-Est, anciennement populaire et désormais largement « boboïsé ». Il capte ainsi 14,1% des suffrages dans le XIe arrondissement et se hisse à 17,4% dans le XXe.
Mais le candidat du Front de Gauche réalise aussi de beaux scores dans les communes populaires de Seine-Saint-Denis (17%). A Aubervilliers (20,5%), La Courneuve (20,4%) ou Saint-Denis (21,7%), Mélenchon double pratiquement son score national même si ces communes à forte composante d’origine immigrée ont largement placé François Hollande en tête sur fond d’abstention élevée.
Selon OpinionWay, Mélenchon a d’abord séduit les jeunes avec 16% parmi les moins de 25 ans. Il a convaincu à la fois 15% des ouvriers et 14% des « professions intermédiaires ». Le Front de Gauche a été particulièrement soutenu par les salariés du secteur public (14% contre 12% de ceux du privé).
Son influence est inversement proportionnelle au niveau des revenus avec un maximum de 17% dans la tranche la plus basse. Si Mélenchon est loin d’avoir réussi à dominer Le Pen dans les catégories populaires, il est parvenu à se faire entendre d’une partie de celles-ci.
Hollande attrape tout
Quant au vote Hollande, il illustre les capacités de rassemblement du candidat socialiste. C’est parmi les cadres (34%) et les professions intermédiaires (35%) que ses scores sont les plus élevés, mais le président de la Corrèze a également été soutenu par un quart de l’électorat populaire.
De même culmine-t-il chez les plus de 50 ans (31%) tout en attirant un quart des plus jeunes. Et son niveau est pratiquement égal parmi les ménages les plus pauvres (27%) et les plus riches (29%).
La France pavillonnaire, au poids électoral non négligeable, semble enfin avoir basculé de son côté. Pontault-Combault, vaste commune de Seine-et-Marne caractéristique de cet habitat dispersé, a mis en tête Hollande (31,4%). Il y a cinq ans, elle avait préféré Sarkozy dans des proportions pratiquement inversées. (33,6%) La « France unie » serait-elle de retour ?
Article publié sur Rue89.
Sarkozy cartonne dans les opulentes et vieillissantes Alpes-Maritimes (37,2%) avec une pointe à 58,3% à Saint-Tropez.
Je me permets de rectifier, Saint Tropez est dans le Var, pas dans les Alpes Maritimes.
Rédigé par : Flamant rose | 23 avril 2012 à 17h31
C'est vrai et j'ai corrigé. Je fatigue un peu en ce lendemain de vote. Merci.
Rédigé par : Eric Dupin | 23 avril 2012 à 18h13
La réponse au vote lepéniste ne devra pas être que dans le vote Hollande.
N'empêche que s'il est battu parce que de belles hâmes d'extrème-gauche, il y aura des tirs de mitraillette sur elles !
(Aviez-vous senti monter ce vote dans votre Voyage en France ?)
Rédigé par : PMB | 23 avril 2012 à 19h30
Y a t-il moyen d'affiner sur les votes +50-60ans pour FH et NS ?
En effet vous dites :
- Hollande culmine-t-il chez les plus de 50 ans (31%)
- NS culmine parmi les électeurs de plus de 60 ans (39%)
Quel est le score de FH chez les +60 ans ?
Rédigé par : toto | 24 avril 2012 à 13h54
Le FDG refuse d'admettre que le FN recrute ses nouveaux électeurs dans l'électorat naturel de la gauche. Au lieu d'agresser les électeurs abusés par le discours xénophobe de MLP, il devrait essayer de comprendre les raisons de leur vote et les convaincre qu'il existe des solutions autres que celles de la gauche sociale-libérale.
A défaut, MLP risque de remporter finalement la mise et de ne laisser à la gauche que l'électorat bobo. Je crains d'ailleurs qu'elle ne réalise un véritable hold-up politique en débaptisant son propre parti pour l'appeler Front national et populaire, délivrant ainsi le message qu'elle est la seule à défendre à la fois la souveraineté nationale et populaire.
Rédigé par : chatel | 27 avril 2012 à 11h43
Même le beau slogan "L'humain d'abord" était une erreur.
j'imagine que la formulation "L'homme d'abord" a dû être écartée parce que certains auraient pu comprendre : "la femme après".
Mais le problème est qu'en entendant répéter "l'humain d'abord", de nombreux électeurs ont dû comprendre, non pas "la finance après", mais "la France après".
Bref, ce slogan universaliste a sans doute parfois été interprété à tort, ou peut-être même à raison, compte tenu du tournant pris par la campagne de JLM, comme une attaque contre le FN.
L'électorat le plus politiquement démuni glisse en effet facilement de l'idée de souveraineté nationale inscrite dans la constitution ("la souveraineté nationale appartient au peuple")à celle de préférence nationale qui est contraire aux principes des droits de l'homme.
Il appartenait donc au FDG d'éclairer la fraction populaire de l'électorat de MLP qui confond souveraineté nationale et préférence nationale au lieu de l'agresser comme cela a été le cas pendant la campagne, au plus grand bénéfice, d'ailleurs de FH, qui peut s'offrir maintenant le luxe de déclarer qu'il doit comprendre le message des électeurs de MLP.
Rédigé par : chatel | 27 avril 2012 à 12h14
Bonjour,
merci d'avoir indiqué ce sondage Opinionway fait sur un nombre significatif de personnes interrogées (1)
je constate, comme à chaque élection, que les catholiques, et encore plus les pratiquants réguliers, votent massivement pour N Sarkozy.
Alors ? quelqu'un pourrait-il m'expliquer les motivations de ce vote ?
nb: est-ce purement une conséquence du niveau de revenu moyen des catholiques ?
(1) ce sondage a été commandé par le Figaro: la droite sait ou sont les choses sérieuses, et ou placer son argent !
Rédigé par : Marc Malesherbes | 01 mai 2012 à 14h19
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Rédigé par : Gr. William | 04 juin 2012 à 19h32
Au deuxième tour d'une élection présidentielle on élimine. Beaucoup de catholiques n'étaient pas et ne sont pas devenus sarkozystes mais ils ont dû faire un choix. Il y a encore des gens pour qui l'argent n'est pas tout et les valeurs ne sont pas que de gauche. Il y a probablement un certain nombre de nos concitoyens qui ont choisi d'autres critères que l'économie dans le choix de leur vote. De nombreux catholiques n'ont pas voulu apporter leurs suffrages à un homme qui porte le flambeau d'une laicité sectaire en particulier envers l'enseignement privé, à un homme dont la position sur l'euthanasie est plus qu'ambigüe avec un geste qui semble aller vers l'ADMD de Jean Luc Roméro, à un homme qui prône l'obligation pour tous les hôpitaux d'avoir un centre d'IVG avec un remboursement à 100%. On peut ajouter une autre ambiguité en rapport avec les mères porteuses sujet sur lequel Hollande ne s'est pas clairement positionné, et aussi le mariage homosexuel et son corollaire l'adoption. Autant de critères qui ont poussé de nombreux catholiques à voter Sarkozy par refus des "valeurs" de François Hollande.
Rédigé par : Flamant rose | 05 juin 2012 à 12h02
"Il y a encore des gens pour qui l'argent n'est pas tout".
Et qui ont quand même voté Sarkozy.
Ne cherchons pas à comprendre.
PS Eric Dupin, je viens de lire sur Rue89 l'affreuse affaire du chienchien martyrisé par un vilain employé de la vilaine marie de Neuilly. Vous êtes sûr de ne pas regretter Marianne ?
Rédigé par : PMB | 09 juin 2012 à 09h53