A l'Elysée, on croisait les doigts depuis longtemps. Dans l'attente du croisement des courbes d'intentions de vote de François Hollande et Nicolas Sarkozy. L'heureux événement tardait à se produire depuis la déclaration de candidature du président sortant, le 15 février.
Enfin, une première enquête plaçant le champion de l'UMP en tête du premier tour a été connue lundi soir. Celui-ci est crédité par l'Ifop de 28,5% des suffrages potentiels contre 27% pour le candidat socialiste.
Saturation de l'espace médiatique
Plusieurs riverains ont été surpris de la différence entre l'enquête Ifop qui a fait beaucoup de bruit (première à indiquer un « croisement de courbes » entre Hollande et Sarkozy) et une autre enquête Ifop récente dans laquelle le candidat socialiste reste un demi-point au dessus de celui de l'UMP.
Il s'agit, en réalité de deux baromètres différents du même institut. La première enquête résulte d'un sondage périodique commandé par Europe 1-Paris Match-Public Sénat. Il est réalisé auprès d'un échantillon relativement important (1 692 personnes) selon une méthode mixte, à la fois par téléphone et par questionnaire sur Internet. Celle-ci a été conduite du 11 mars à 18 heures au 12 mars 2012.
La seconde enquête provient d'un sondage en continu (méthode du « rolling ») publiée tous les jours de la semaine sur le site de Paris Match à 18 heures et effectué uniquement sur Internet. 300 personnes environ sont interrogées chaque jour et les chiffres publiés prennent en compte les résultats obtenus au cours des trois derniers jours. Ces différences de date et de méthodologie expliquent de possibles discordances entre les deux types d'études.
Par bonheur, Sarkozy a été informé de la bonne nouvelle juste avant son passage à l'émission « Paroles de candidat » sur TF1. De quoi lui donner une pêche d'enfer. De fait, le Président-candidat a été très bon ce soir-là. Le format même de l'émission politique de la première chaîne, avec une interrogation par des Français avant tout soucieux de leurs propres problèmes, lui a permis de déployer ses talents d'avocat capable de plaider successivement les causes les plus diverses.
Au lendemain de la mise en scène réussie du meeting de Villepinte (Seine-Saint-Denis), le candidat Sarkozy sature ainsi l'espace médiatique. Une telle surexposition dope généralement, de manière plus ou moins durable, les intentions de vote du candidat qui en bénéficie.
Soulignons que l'enquête de l'Ifop citée plus haut a été réalisée les 11 et 12 mars, dans la foulée du grand rassemblement de l'UMP. Les prochains sondages, qui prendront en compte l'effet de l'émission de TF1, pourraient confirmer la tendance.
Ces observations ne signifient pas que la dynamique qui porte actuellement Sarkozy soit purement conjoncturelle. La stratégie de provocation droitière systématiquement mise en œuvre depuis sa descente dans l'arène électorale produit son effet. En début d'année, le candidat de l'UMP n'était pas simplement menacé de ne décrocher que la seconde place au premier tour de l'élection présidentielle. La forte audience de Marine Le Pen lui faisait courir le risque réel d'une pure et simple élimination.
Pour reprendre la même série d'enquêtes de l'Ifop, seulement quatre points séparaient Sarkozy de Le Pen début janvier. La candidate du FN est descendue de 20 à 16% aujourd'hui tandis que celui de l'UMP grimpait de 24 à 28,5% des intentions de vote. Le « candidat du peuple » autoproclamé a réussi à ramener sur son nom une fraction de l'électorat lepéniste.
Le flanc gauche de Hollande
A gauche, l'évolution est toute autre. Honnête gestionnaire de son patrimoine électoral potentiel, le candidat socialiste a laissé se dégarnir son flanc gauche. Il s'est certes efforcé, à l'occasion, de lancer des signaux dans cette direction comme la fameuse taxation à 75% des revenus supérieurs à un million d'euros par an.
Mais l'électorat de gauche le plus exigeant doute toujours de sa volonté de changer profondément les choses. Selon une habitude désormais bien installée, Hollande a d'ailleurs laissé entendre que des aménagements seraient prévus pour atténuer la douleur de cette tranche de 75% à vocation symbolique, de son propre aveu.
Dans ce contexte, la progression de Jean-Luc Mélenchon est assez logique. Le candidat du Front de Gauche est passé de 7,5% fin janvier à 10% actuellement. Parallèlement, le candidat du PS descendait de 31 à 27%. Une partie de l'érosion du potentiel hollandais vient également de la petite poussée, enregistrée par ce baromètre, de François Bayrou durant cette période.
La stratégie primaire de Sarkozy
L'élection présidentielle française est un sport très particulier qui oblige ses compétiteurs à pratiquer une drôle de gymnastique. Ils doivent mobiliser leur camp au premier tour avant de rassembler les Français au second. Et éviter deux erreurs :
- faire l'impasse sur la première haie, comme l'ont fait Edouard Balladur en 1995 ou Lionel Jospin en 2002 ;
- ou bien trop miser sur cette première étape, comme le fit Jacques Chirac en 1988.
Par sa stratégie « primaire », Sarkozy s'expose à ce risque. Le durcissement de sa campagne sur des thèmes très clivants (chômeurs, immigration, Europe, etc.) rendra difficile le rassemblement d'une majorité absolue d'électeurs sur son nom au second tour. Sa droitisation précipitera dans les bras de Hollande une bonne partie de l'électorat centriste. Pour l'heure, plus nombreux sont les supporters de Bayrou disposés à se reporter sur le candidat socialiste plutôt que sur celui de l'UMP.
Sarkozy peut certes espérer de meilleurs reports de l'électorat lepéniste que ceux que les enquêtes enregistrent aujourd'hui (moins d'un sur deux). Mais les partisans du FN qui n'ont pas été convaincus par un discours droitier dont la crédibilité reste douteuse à leurs yeux risquent fort de bouder jusqu'au dernier moment.
Hollande, candidat de convergence
A l'opposé, la percée de Mélenchon n'est guère dangereuse pour Hollande. Animé d'un solide antisarkozysme, l'électorat de Front de Gauche est d'ores et déjà disposé à se reporter comme un seul homme sur le candidat socialiste au tour décisif.
Celui-ci a certainement intégré cette donnée dans sa stratégie. Il se gardera sans doute d'un « virage à gauche » qui aurait l'inconvénient d'indisposer un électorat centriste sur lequel il compte bien pour bâtir sa majorité électorale. Au prix d'innombrables ambiguïtés, Hollande s'emploiera à demeurer un bon candidat de convergence pour le second tour.
Voilà pourquoi le croisement des courbes du premier tour n'a guère d'incidence sur les équilibres du second tour. Hollande est crédité aujourd'hui de 54,5% de intentions de vote alors qu'il se situait à 54% au tout début du mois de janvier.
Réveiller le jeu
Ce fameux croisement de courbes, s'il devait être confirmé, n'en est pas moins une bonne nouvelle pour beaucoup de monde, et notamment pour les journalistes qui ne manqueront pas d'invoquer un suspense nouveau sur l'issue de la bataille présidentielle.
L'UMP retrouvera un moral qui était dramatiquement en berne ces dernières semaines. Sarkozy renouera avec sa fougue d'antan, au risque de se caricaturer lui-même.
Les socialistes eux-mêmes ont tout lieu de se réjouir de cet épisode. Manuel Valls a judicieusement sauté sur l'occasion pour proclamer que « rien n'est fait » et rameuter l'électorat de gauche autour du candidat socialiste. « Nous devons lutter en permanence à gauche contre la dispersion et la démobilisation », a expliqué le directeur de la communication de Hollande.
Nul doute que le PS exploitera ces nouveaux rapports de forces pour regonfler un « vote utile » qui perdait de sa pertinence dès lors que Hollande planait haut dans les sondages.
Faire la course en tête au premier tour n'est évidemment pas un gage de succès. Pour un Président sortant, c'est même la règle générale. Charles de Gaulle en 1965, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, François Mitterrand en 1988, Jacques Chirac en 2002 ont tous devancé leurs concurrents lors de la première manche. Sarkozy devient, à cet égard, un Président normal.
Article publié sur Rue89.
"Je n'ai pas du tout envie de prendre le moindre risque, je n'ai pas le temps d'avoir une deuxième tournée de lui. Je pense que Mélenchon est très utile, il fait un boulot très nécessaire, supplémentaire, et j'ai besoin aussi que ce qui était autrefois le parti communiste ait encore sa voix. Je pense qu'en ce moment c'est très bien. Ceci dit, le jour de l'élection, je n'hésiterai pas une seconde... Mais les gens qui m'entourent et qui ont une tendance Mélenchon – que je comprends – je pense, j'espère, qu'à la dernière minute ils voteront Hollande. Parce que si ce n'est pas à la dernière minute, au premier tour, ce sera, de toute façon au second tour. Et encore une fois, dans le domaine politique, je suis pragmatique. Il y a hiérarchie des urgences, et le plus urgent c'est de faire que lui ne nous occupe plus. Mon idée, évidemment, c'est que ce qui nous attend après lui, c'est un panachage de Hollande et de Mélenchon, même si on a envie d'une pureté, on n'aura pas de pur Mélenchon, de pur Hollande, et c'est très bien."
Hélène CIxous, dans Libération.
Oui, certains n'ont "pas le temps d'avoir une deuxième tournée de lui", et même n'ont plus de quoi se payer le luxe de cette deuxième tournée.
Rédigé par : D.H. | 15 mars 2012 à 17h32
Selon le site internet du monde, "Hollande reçoit le soutien des sociaux-démocrates européens".
FH croit faire rêver les français en leur faisant miroiter une victoire des partis sociaux-démocrates en Europe alors que ceci ne peut pas se produire, les socialistes ayant d'ores et déjà perdu le pouvoir dans de nombreux pays (Grèce, Espagne, Portugal, Angleterre). Au demeurant, lorsque les gouvernements socialistes étaient majoritaires en Europe, ils n'ont strictement rien fait pour réorienter la construction européenne. Comment, d'ailleurs, l'auraient-ils pu, étant donné que la forme libérale de l'Europe est inscrite dans son génome? Par ailleurs qu'y a t-il à espérer du soutien du SPD, dont FH ne cesse de se prévaloir, alors que ce parti a gouverné avec A. Merkel de 2005 à 2009, dans le cadre de la grande coalition?
Ceci montre que FH n'a toujours pas tiré les leçons de l'échec du référendum de 2005, contrairement, d'ailleurs, à NS qui envisage maintenant la possibilité de remettre en cause certains traités européens.
Certes, FH souhaite renégocier le dernier traité en cours de ratification. Mais de toute évidence, il s'agit, dans son esprit, d'ajouter un volet sur la croissance au texte existant et non de préserver la souveraineté budgétaire des Etats.
Rédigé par : chatel | 18 mars 2012 à 10h02
Curieusement, Eric Dupin ne nous parle pas de l’intéressante interview de Patrick Buisson dans le Monde, il y a une dizaine de jours. Ce dernier, conseiller politique de Sarkozy, considère que les sondages sur le 2ème tour ne veulent rien dire, car ils font état d’un taux d’abstention notoirement inférieur à celui du 1er tour (forte abstention dans les électorats de le Pen et Bayrou). Or une telle occurrence est, dit-il, sans précédent sous la Vème république (sauf peut-être 2002, dans une configuration politique bien particulière). Ces sondages de 2ème tour, conclut-il, sont bâtis sur du sable. Je trouve cet argument assez pertinent : il ne s’agit pas de dire que ces sondages sont faux, ou mal faits ; ils reflètent bien un état actuel de l’opinion, mais leur vertu prédictive est très fragile.
Rédigé par : René Fiévet | 18 mars 2012 à 18h20