C'est entendu, les « primaires citoyennes » sont un grand succès pour le PS. Quelque 2,7 millions d'électeurs ont voté au premier tour et ils seront probablement encore plus nombreux dimanche. Cet exercice inédit a le mérite de politiser une large fraction du « peuple de gauche ». Il constitue sans nul doute un progrès en matière de participation démocratique.
Mais ces mérites ne doivent pas occulter que le dispositif adopté comporte quelques inconvénients majeurs. Les socialistes pourraient ainsi regretter trois choix.
1. Organiser une primaire à deux tours
Il aurait été fort possible de ne prévoir qu'un tour pour cette consultation. Cette règle du jeu aurait d'abord eu le mérite de réduire le nombre de candidats à la candidature. Le but étant d'arriver en tête lors d'un unique scrutin, chacun aurait été incité au regroupement autour des seuls postulants à l'Elysée crédibles.
La primaire n'aurait pas été détournée de son objet réel par des candidats désireux d'asseoir leur notoriété, de prendre date pour l'avenir ou encore de faire passer un message politique (détournement analogue à celui dont est victime le premier tour de l'élection présidentielle).
Le choix d'un scrutin à deux tours a aussi le défaut de créer les conditions d'un affrontement binaire à hauts risques. On l'a vu avec une fin de campagne tendue où Martine Aubry est allée jusqu'à accuser son concurrent d'être un « candidat du système ».
L'alchimie électorale tend à ce qu'un second tour se termine habituellement pas très loin du seuil fatidique de 50% des suffrages. Il s'en suit que le scrutin de dimanche risque de révéler une division de la gauche entre deux forces électorales de taille comparable. Cette situation est d'autant plus périlleuse que la gauche française est historiquement diverse et que le socialisme français lui-même a toujours été tiraillé par des tendances opposées.
Il est fascinant de constater avec quelle facilité le duel Aubry-Hollande s'est greffé sur le vieux clivage gauche molle/responsable versus gauche forte/sectaire. Ces deux candidats n'incarnent pas véritablement deux lignes politiques ou orientations idéologiques antagonistes, mais le jeu de rôle de la primaire a conduit chacun à occuper une place somme toute classique dans les débats internes à la gauche française.
Le profil sociologique et géographique des deux électorats est évocateur de cette coupure que le candidat élu devra ensuite cicatriser au cours de la campagne.
2. Ouvrir la primaire à toute la gauche
Le PS aurait pu organiser une primaire destinée aux seuls électeurs socialistes. Il a préféré afficher des « primaires citoyennes », avec la caution du Parti radical de gauche, ouvertes à tous ceux qui se reconnaissent dans une très vague déclaration d'adhésion aux « valeurs de la gauche ».
Beaucoup électeurs qui n'ont guère l'intention de soutenir le PS au premier tour de la présidentielle ont ainsi voté le 9 octobre pour choisir le candidat de gauche du second tour ou bien pour envoyer un message aux socialistes. Parions qu'ils seront encore plus nombreux le 16 octobre.
Ce phénomène pourrait avoir de curieuses conséquences. Si Martine Aubry devait l'emporter, elle le devrait à ces électeurs-là. Tout indique qu'elle recueille une nette majorité de suffrages parmi les électeurs de sensibilité écologiste ou de la « gauche radicale » ,alors que François Hollande a les faveurs des électeurs socialistes.
Autrement dit, dans cette hypothèse, le candidat du PS ne serait pas celui qui aurait été choisi par une majorité d'électeurs socialistes ! Etrange situation...
3. Dissocier le projet du candidat
Les socialistes ont fait le choix de commencer par concocter leur programme politique avant de désigner leur candidat à l'Elysée. Dans un premier temps, ce sont les adhérents du parti qui ont défini le projet. Dans la seconde phase, ce sont les électeurs qui choisissent le candidat.
Ce découplage peut être problématique. On l'a vu avec l'ambiguïté des débats de cette primaire. Tous les candidats ont voté le même « Projet socialiste », mais chacun a cherché à s'en distinguer pour faire valoir son originalité. Au final, on ne sait plus très bien si l'on vote essentiellement pour une personnalité ou si l'on choisit une orientation particulière.
Le danger est aussi de forger deux légitimités potentiellement en conflit. Le Projet socialiste a été voté en mai 2011 par moins de 100 000 militants socialistes. Le candidat à l'Elysée sera choisi dimanche par plusieurs millions d'électeurs. Ainsi adoubé, ne se sentira-t-il pas autorisé à prendre quelques libertés avec le texte du parti ?
L'aggravation de la crise économique constituera un excellent argument pour réviser les promesses alors faites aux électeurs.
Ce cas de figure est évidemment particulièrement envisageable dans l'hypothèse où Hollande l'emporterait. Avec le risque d'une opposition latente entre la légitimité du candidat et celle du parti. On sait qu'Aubry a l'intention de redevenir première secrétaire du PS, même en cas de défaite. Se poserait-elle alors en vigilante gardienne du Projet socialiste, qui est son bébé, tandis que le candidat s'efforcerait, lui, de « rassembler » au-delà de la gauche ?
Article publié sur Rue89.
Il y a une chose qui m’étonne un peu dans ce texte qui, dans l’ensemble, est très exact et bien vu. Ce qui me surprend, c’est l’absence de questionnement sur le principe même de cette primaire socialiste. Questionnement qui, d’ailleurs, donnerait la réponse à certaines questions soulevées par Eric Dupin, notamment l’articulation entre le programme du PS et celui de son candidat.
On a bien vu que l’affrontement Aubry Hollande se résumait en définitive à un affrontement de personnalités. C’était inévitable, puisque l’accord sur l’essentiel était déjà réalisé (vote du projet du PS) et que de toutes les façons Aubry et Hollande, enfants spirituels de Jospin, sont sur la même ligne idéologique.
Ce qui est condamnable dans la primaire socialiste, c’est sa philosophie même, son principe : mettre l’affrontement des personnes au premier rang du débat politique, au détriment de la ligne idéologique et politique qui vient en second. C’est en fait une sorte de révolution copernicienne pour la gauche française. Jusqu'alors, un leader s’imposait parce qu’il incarnait mieux que d’autres une ligne politique majoritaire. C’est cela qui fait un leader au sein de la gauche (contrairement à la droite qui, culturellement, met plutôt l’accent sur la personnalité). Le cas de Mitterrand est emblématique : il s’est imposé à Epinay en 1971 sur la base d’une ligne politique, puis il s’est imposé à Rocard Congrès de Metz en 1979 sur une ligne idéologique. Jospin également s’est imposé au PS en 1995 face à Emmanuelli sur la base d’une ligne idéologique majoritaire (« la gauche de gouvernement »). Certes, l’affrontement des personnalités existait, mais il venait en second plan. Et d’une certaine façon, l’affrontement de personnes devenait un non sujet à partir du moment où l’affrontement sur la ligne idéologique et politique était réglé. Ce qui calmait bien des ambitions personnelles (Eric Dupin fait justement remarquer ce détournement d'objet que permet la primaire au profit de candidats improbables en quête de notoriété).
Un autre aspect n’est pas abordé par Eric Dupin qui pourtant mériterait de l’être : c’est le fait que cette primaire socialiste est une acceptation quasiment institutionnelle du présidentialisme à la française. En d’autres termes, comment critiquer efficacement le présidentialisme façon Sarkozy en accentuant soi-même la présidentialisation du système. Cela me parait totalement incohérent. J’ai l’impression qu’Eric Dupin considère le présidentialisme à la française comme un invariant de notre situation politique, alors que je pense au contraire qu’il s’agit d’un champ d’affrontement entre la gauche et la droite.
Rédigé par : René Fiévet | 16 octobre 2011 à 18h08
@ René Fievet
"il s’agit d’un champ d’affrontement entre la gauche et la droite."
Je crois qu'il serait plus exact de dire qu'"il devrait s'agir d’un champ d’affrontement entre la gauche et la droite" car, de fait, droite et gauche s'opposent de moins en moins sur ce terrain-là. Au demeurant, c'est le candidat socialiste qui a fait le plus d'efforts pour "se présidentialiser" au point d'imiter le style de JC et la diction de FM qui a été élu.C'est aussi celui qui dit le plus facilement "je". Au total, rien de très bon ne semble pouvoir être attendu de cette élection.
Rédigé par : chatel | 17 octobre 2011 à 09h55
@ Eric Dupin
Merci beaucoup pour cette analyse très intéressante et originale.
On entend en effet rarement dire par les commentateurs politiques qu'il aurait été effectivement plus logique que ces primaires citoyennes" (en réalité socialistes) ne comportent qu'un seul tour.
Une question se pose désormais, me semble-t-il. Dans la mesure où la victoire de FH semble s'expliquer essentiellement par le désir de battre NS, ne se pourrait-il pas que ce réflexe du vote utile profite en fait, lors du premier tour de l'élection présidentielle, à un autre candidat de droite (ou à MLP)? De nombreux électeurs, mécontents de NS, ou déçus par lui, ne pourraient-ils pas être tentés de l'éliminer dès le premier tour en votant de cette façon? L'argument du vote utile pourrait alors éventuellement se retourner contre ceux qui ne cessent d'y recourir en permettant la qualification d'une personnalité de droite autre que NS (FB ou AJ, par exemple) plus difficile à battre pour un candidat socialiste peu à même de séduire ceux qui ne se reconnaissent guère dans cette "gauche molle" dont il est le représentant et dont on voit la faillite partout où elle gouverne en Europe.
Je suis persuadé de ne trahir la pensée de personne en vous disant que nous aimerions tous avoir l'occasion de vous lire plus régulièrement sur votre blog.
Rédigé par : chatel | 17 octobre 2011 à 10h28
Vous écrivez //L'aggravation de la crise économique constituera un excellent argument pour réviser les promesses alors faites aux électeurs.//
Pas mieux ! J'ai bien fait de ne pas marcher à cette pantalonnade. Dire qu'on a cherché à me faire voter Montebourg le puriste...
Chatel écrit //Je suis persuadé de ne trahir la pensée de personne en vous disant que nous aimerions tous avoir l'occasion de vous lire plus régulièrement sur votre blog.//
Pas mieux ! Rue89 m'intéresse de moins en moins
Rédigé par : pmb | 17 octobre 2011 à 17h55