"L'avenir se joue loin de nous, sans nous, combien de fois avons-nous entendu cette remarque lors du tour de France que nous avons effectué avant de concevoir nos propositions", peut-on lire dans le Projet socialiste 2012. Ce constat rejoint les réactions que j'ai pu enregistrer lors de mes "Voyages en France". Le PS a accompli un louable effort d'écoute, y compris auprès de certains intellectuels. Il en résulte un document qui laisse une impression mélangée. La pertinence de certaines analyses contraste cruellement avec la timidité des politiques proposées. Les socialistes avancent, à ce stade de leurs débats, trente propositions étrangement baptisées "priorités". Nombre d'entre elles ne sont pas mineures, telles la modulation de l'impôt sur les sociétés selon la destination des bénéfices. Mais l'ensemble peine à se situer à la hauteur des défis relevés par le PS lui-même.
"Le capitalisme financier, loin des compromis de l'économie sociale de marché, est redevenu une fabrique à inégalités et à brutalité voisine de celle qui se déployait au 19ème sièce", écrivent les socialistes pour qui "l'urgence est de changer de système". On chercherait cependant en vain, dans le document, les voies de remise en cause d'une logique financière qui fait peu de cas des équilibres sociaux ou territoriaux. Le PS évoque à nouveau la "régulation" du capitalisme tout en reconnaissant sa parfaite insuffisance (malgré la présence d'un des siens à la tête du FMI). Pour lutter contre la pression qui pèse sur les salaires, il envisage une "conférence salariale annuelle" qui risque de produire peu d'effets compte tenu du rapport de forces entre le capital et le travail. S'il s'indigne des rémunérations extravagantes des privilégiés, le PS n'ose pas reprendre à son compte le thème d'un revenu maximum, se limitant à proposer de plafonner les écarts rémunération de 1 à 20 dans les entreprises à participation publique.
"Les Français attendent de nous que nous prenions la mesure de l'impasse du libre-échange sans limites (...) de l'illusion d'une France sans usines ni paysans qui se reconvertirait en musée de la mondialisation", peut-on lire. Le PS se prononce même, ce qui est une nouveauté non négligeable, pour "l'abandon du libre-échange dogmatique et la soumission des échanges commerciaux aux normes sociales et environnementales". Forte paroles. Leur traduction politique est toutefois bien timorée. En cas d'échec des négociations de l'OMC, "nous augmenterons les droits de douane au niveau européen sur les produits ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale". C'est bien le moins: renchérir le coût d'importations qui ne respectent même pas des normes internationales par définition minimales ! Les socialistes, Michel Rocard compris, ont enfin saisi la nocivité du libre-échange intégral. Il leur reste à préciser une orientation en cohérence avec leurs observations. La création d'une "Banque publique d'investissement" ne définit pas, à elle seule, une politique industrielle.
Autre exemple d'écart entre le constat et la proposition: l'appel, tout à fait opportun, à "repenser la ville" du XXIème siècle. Le PS suggère de "reconstruire des villes denses et intenses où chaque commune, chaque quartier mêle les différentes fonctions de la vie" et de "casser les ghettos sociaux et ethniques". Ce sont effectivement les défis posés par la segmentation caricaturale des territoires que j'ai pu constater au cours de mes voyages. Mais pourra-t-on se contenter de mesures techniques, même souhaitables, comme l'"encadrement des loyers à la première location et à la relocation dans les zones de spéculation immobilière" pour contrecarrer ces logiques à la fois foncières et sociologiques ?
"Dans une société, il faut du lien, de la réciprocité, de l'altruisme, de l'attention, du soin mutuel", annonce le Projet. Mais alors, pourquoi aussi peu d'audace pour stimuler l'économie sociale, les réalisations locales, toutes ces expérimentations de terrain que j'ai pu approcher ? L'idée de créer des "emplois d'avenir", pour certain jeunes, dans les domaines de l'innovation sociale ou environnementale n'est pas forcément mauvaise. Mais elle ne dispense pas d'une stratégie offensive pour développer un troisième secteur non soumis à la logique du profit ou à celle du secteur public.
Les commentateurs aimables ont qualifié de "boîte à outils" ce projet socialiste. Il ne faudrait pas que la destinée de ce document soit de permettre au futur candidat de puiser à sa guise quelque thème de campagne en reléguant ses idées fortes au rang des bonnes intentions. Le flou entretenu par ce document sur la plupart des questions délicates - réorientation de la construction européenne, politique énergétique ou encore de l'immigration - laisse déjà une belle marge de liberté au vainqueur de la primaire socialiste. Celui-ci risque alors de balayer d'un haussement d'épaules bien des judicieuses analyses de ses petits camarades. Celle-ci, par exemple: "En Europe, les dirigeants de la zone Euro imposent une austérité systématique qui va ralentir la sortie de crise et nourrir le cercle fatal de la dépression".
Les socialistes ont ils également proposé de promouvoir la maternité et les tartes aux pommes?
Rédigé par : Merlin | 20 avril 2011 à 12h05
"La pertinence de certaines analyses contraste cruellement avec la timidité des politiques proposées." c'est ben vrai !
j'ai un souvenir amer de la distance entre les analyses de M.Aubry sur les banlieues "à problème" que j'avais trouvées très lucides... et les résultats du gvt Jospin dans le domaine !
J'avais déjà dit "avant" que je ne voterai pas DSK... mais il faudra une grande révolution pour que j'aille au deuxième tour (sauf s'il y a Melenchon !).
Rédigé par : vieille dame | 25 mai 2011 à 16h55