Gare aux erreurs d’interprétation. Confirmant globalement un équilibre droite-gauche favorable à l’opposition dans les départements, le second tour des élections cantonales se caractérise aussi par une nouvelle progression de Front national. Le parti de Marine Le Pen n’est certes parvenu à faire élire que deux conseillers généraux, à Brignoles (Var) et à Carpentras-Nord (Vaucluse). Le sort du suffrage universel demeure cruel pour une formation extrémiste privée d’alliance dans le cadre d’un scrutin majoritaire. Mais un examen des résultats dans les 400 cantons où le FN restait en compétition dimanche montre que ce parti a encore élargi son influence.
Le parti d’extrême droite a recueilli 11,7% des suffrages exprimés au second tour. Mais son score moyen s’élève à 35,1% des voix dans les cantons où il demeurait présent. Il y est passé de quelques 620.000 à 915.000 voix. Autrement dit, le FN a gagné 50% de nouveaux électeurs, d’un tour à l’autre, dans ses zones de force. La stratégie dite du « front républicain » a été boudée par de très nombreux électeurs.
Le léger surcroît de participation enregistré dans ces cantons, malgré une abstention toujours massive, semble parfois avoir plutôt profité au FN. En règle générale, l’électorat de l’UMP a voté, dans une proportion notable, pour le candidat d’extrême droite là où il demeurait seul à s’opposer à la gauche. Dans le canton de Perpignan-9 (Pyrénées-Orientales), Louis Alliot, vice-président du Front, est certes battu par le PS avec 46,2% des suffrages exprimés. Mais on relève qu’il gagne quelques 800 voix d’un dimanche à l’autre - le nombre de suffrages qui s’étaient portés au premier tour sur les candidats UMP et divers droite - alors que les votants supplémentaire ne sont que 400.
L’autre défaite symbolique d’un dignitaire du FN confirme l’importance de l’appoint de l’électorat de droite dans son score final. A Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais), les gains de Steeve Briois sont limités : 44,7% des voix contre 35,9% le 20 mars. Le secrétaire général du parti ne disposait toutefois que de faibles réserves à droite, le candidat de l’UMP n’ayant recueilli que 2,7% des suffrages au premier tour. Il parvient tout de même à conquérir environ 700 électeurs supplémentaires, soit plus que l’accroissement du nombre des votants.
Dans certains cantons, comme celui de Lens-Nord-Est (Pas-de-Calais), une fraction de l’électorat communiste semble aussi avoir préféré le FN au PS. Là où l’extrême droite restait en lice face à l’UMP, les électeurs de gauche ont contribué à la défaite du FN mais sans enthousiasme excessif. Dans le canton de Nice-11 (Alpes Maritimes), par exemple, le candidat de droite ne recueille que 3.500 des 5.000 voix qui s’étaient portées sur les « partis républicains » au premier tour. A l’inverse, celui du FN engrange 900 voix supplémentaires et bondit de 32,6 à 48,2% des suffrages exprimés.
Misère de l’anti-lepénisme
Au vu de ces chiffres, la focalisation du débat public, la semaine dernière, sur la tactique électorale à adopter face à la poussée du FN a quelque chose de dérisoire. L’électeur contemporain se joue des consignes de vote et la stratégie de diabolisation de la formation lepéniste semble vouée à l’échec. Une enquête Ipsos montre que les Français sont majoritairement convaincus que le FN est un « parti d’extrême droite » (72%) et qu’il est « dangereux pour la démocratie » (57%) mais 54% d’entre eux considèrent simultanément que c’est un « parti utile ».
Cette « utilité » est éclairée par une autre enquête, due à BVA, qui établit qu’une majorité de sondés (52%) voit désormais la formation lepéniste comme « un parti comme les autres » tout en se déclarant en désaccord avec ses propositions. Le FN apparaît, plus que jamais, comme un vecteur de manifestation des préoccupations populaires. Le « vote utile » des électeurs frontistes exprime un message de mécontentement profond où se mêlent questions sociétales (insécurité, immigration) et socio-économiques (rejet du libre-échange et de la mondialisation). Le nouveau discours de Marine Le Pen parvient à conjuguer ces deux thématiques et à rentrer ainsi en résonance avec l’opinion d’une large fraction de la population.
Trois couches électorales
Un succès électorat agrège toujours un public divers. Celui du FN résulte de l’addition de trois couches relativement distinctes. Le parti mariniste a d’abord conservé l’électorat frontiste le plus ancien, celui qui est apparu au milieu des années quatre-vingt. Il s’agissait d’électeurs de droite radicalisés par l’arrivée de la gauche au pouvoir, souvent issus des couches non salariées (petits commerçants, artisans etc.) C’est sur le pourtour méditerranéen que le FN a implanté ses premiers bastions. Il les conserve aujourd’hui.
Dans un deuxième temps, au tournant du millénaire, le parti de Jean-Marie Le Pen s’est enraciné dans la France du Nord-Est souffrant de la désindustrialisation. Il a alors conquis un électorat populaire et ouvrier. Nicolas Sarkozy avait su le séduire en 2007. Profondément déçu par l’absence de résultats du président de la République, ce public est massivement revenu dans le giron du FN.
L’originalité de Marine Le Pen aura été d’ajouter une troisième couche d’influence. Grâce à un discours socio-économique aux accents protestataires décomplexés, le FN a enregistré de spectaculaires poussées dans des zones qui ne lui étaient guère favorables. Sa nouvelle géographie électorale s’étend dans la France de l’Ouest, notamment dans des zones rurales où vivent des couches populaires chassées des villes par le prix de l’immobilier. Le parti d’extrême droite obtient des scores impressionnants dans des départements traditionnellement réputés pour leur modération comme le Loiret où il participait, dimanche, à huit scrutins de ballottage sur vingt.
L’argument moral jeté à la face de ces divers électeurs, ou encore les démonstrations idéologiques, ont peu de chance d’être efficaces. Seules des réponses apportées à leurs préoccupations concrètes par les partis républicains pourront convaincre cette France en crise qu’elle a mieux à faire que de crier sa colère en votant à l’extrême droite.
Article publié sur le site Owni.
@ Eric Dupin
Merci pour cette analyse. Depuis 30 ans, on mobilise les mêmes arguments contre le FN ("Front républicain", "vote utile", antifascisme) sans réels résultats.
Pire, comme le montre votre analyse, le FN élargit son cercle d'électeurs aux classes moyennes qui souffrent de la mondialisation (celles que vous avez pu rencontrer lors de vos "Voyages en France") et même aux jeunes BAC+5 déclassés, et je vous mets mon billet que le FN version Marine serait même capable de toucher les fameux "bobos"!
Seules des réponses concrètes à la mondialisation notamment les questions liées au libre-échange, à l'hystérie identitaire (comme vous l'écriviez) qui choque cette classe moyenne, à ce que Brustier/Huelin appellent les "paniques morales" pourront dégonfler ce qui souffle dans les voiles de la Marine!
Rédigé par : DaryL | 28 mars 2011 à 19h03
A cet égard, l'article paru dans le Monde partant à la rencontre de candidats FN en Essonne notamnent était intéressant. Ne mentionnait cependant pas le point suivant : à savoir la propagande du Conseil Général de l'Essonne, qui s'affiche sur les abris bus du département. Le conseil général fait ceci fait cela. Réclame à visées clairement partisane dans certains cas du genre : "le bouclier social pas le bouclier fiscal". Mais qui surtout dans 80% des cas présente des personnages à la peau coloré. Après on s'étonne que certains "petits blancs" se sentent lachés.
Rédigé par : JD75 | 03 avril 2011 à 10h48
Bon, un peu marre de le répéter encore et encore mais le FN est surtout pratique pour les deux partis principaux et les journalistes qui l'utilisent comme un sujet d'infos au même titre que Fukushima ou la Lybie, l’information est dans « Le Monde » jeudi 24 mars 2011, page 14, rubrique politique, sous la signature de Michel Delberghe: « En nombre de voix, la percée du Front national paraît relative. Il recueille 15 812 voix de moins qu'en 2004, année au cours de laquelle il était présent dans 409 cantons supplémentaires. »
Autre citation du 1er blog politique de France :
Le Front de gauche avait recueilli 500 326 suffrages aux élections européennes de 2009. On y trouve cette fois-ci 774 666 voix au premier tour des cantonales 2011. Cela signifie un gain de 274 340 voix alors qu'il n’a pas de candidat partout. C’est une progression de 55 %. Aucune autre formation n’a fait un tel progrès.
Donc, je veux bien qu'on fasse des analyses sur les résultats du FN et notamment sur la façon qu'ont les 'gens' de voir le FN mais n'oublions pas que le résultat d'élections est très relatif.
Rédigé par : Yanch | 05 avril 2011 à 07h55
Je ne partage pas entièrement le point de vue de Yanch. OK, quant à la progression du Front de Gauche; mais celle-ci est, à mon sens, affectée par la présence, et pas seulement médiatique, du FN. Je ne suis pas sûr, en outre, que l'UMP et le PS aient intérêt à voir l'extrême droite forte. L'élimination de Jospin en 2002 devrait constituer, au moins pour le PS, un précédent inquiétant.
En outre, autant on peut croire en des discussions entre PS et FG par exemple, autant on ne peut pas y croire avec le FN. Les socialistes inquiets du FG, soit. Mais inquiets du FN, je le crois volontiers (et l'espère).
Rédigé par : Gilles | 05 avril 2011 à 17h24
Ok Gilles mais en quoi la presence du fn inflechit elle la valeur des autres resultats si ce n'est par le buzz mediatique.
C'est d'autant plus interessant pour les deux gds partis (surtout le ps) que le vote utile est presente comme indispensable.
Ps:dsole,je tape zvec mon portable
Rédigé par : yanch | 05 avril 2011 à 19h39
C'est vrai, je me range à votre analyse, d'autant plus que mettre en avant le "vote utile" revient à créer une partition entre partis "utiles" et partis "inutiles". C'est une vision que je ne partage pas.
Rédigé par : Gilles | 05 avril 2011 à 23h35
Le vote FN du point de vue de nombreux observateurs politiques, dont je partage l'analyse, est induit par la précarisation de l'emploi (pour ceux qui ont encore la chance d'en avoir un) et le rapport de force entre employeur et employé devenu à sens unique en faveur des employeurs (pressions, chantage, auto-censure). Rien de nouveau sous le soleil : les grandes crises humaines et révolutions puisent leur source d'abord dans la misère sociale. D'autre part, la marchandisation à outrance des gadgets électroniques que sont par exemple la TV poubelle, l'iPhone, le Blackberry ou même la téléphonie mobile ... bref le superflu vient percuter le manque croissant de l'essentiel dont les rapports humains et encore une fois le travail comme source de revenus mais aussi comme lien social.
Bref, si j'étais au chômage (aucun risque vu la bonne santé de mon employeur bien coté au CAC40)je voterais FN durablement et sans regrets.
Rédigé par : Santufayan | 06 avril 2011 à 09h08
Rien de plus stupide que de voter FN lorsqu'on est au chômage. La réaction du gouvernement face à la montée de ce parti d'extrême-droite aux cantonales ne s'est pas fait attendre: des mesures répressives et coercitives contre les "assistés" et autres sans-emploi vont être prises. Une seule politque à leur égard: la culpabilisation, puisqu'il n'y a rien d'autre à leur offrir.
Rédigé par : D.H. | 10 avril 2011 à 09h43
à DH
rien de plus stupide... huuuuummmmm, la belle arrogance qu'elle va contribuer à nous convaincre... nous les pauvres et les sans-grades...
ne pas oublier que c'est l'abstention qui gonfle les résultats du FN... vous allez me dire : l'abstention c'est stupide ?
et bien, donnez nous envie de voter...
Rédigé par : vieille dame | 25 mai 2011 à 17h06
Il existe certes des « vieilles dames » qui ont la chance de ne pas avoir de petit-fils ou de petite-nièce au RSA. Elles seraient parfaitement au courant sinon que mon message précédent a été confirmé entre-temps, par les propos ignobles de Wauquiez, conséquence directe et à peine différée des résultats des élections aux cantonales.
Rédigé par : D.H. | 30 mai 2011 à 09h58