Le fameux sondage Harris Interactive publié dans le "Parisien Dimanche" attribuant à Marine Le Pen la première place d'un premier tour d'élection présidentielle, auquel personne n'a pu échapper, suggère trois séries d'observations.
1. Une enquête très contestable. Il y a sondage et sondage, et les médias seraient bien inspirés de ne point prendre toutes les enquêtes d'opinion au pied du chiffre. Comme sa signature l'indique, celle d'Harris Interactive a été effectuée auprès d'un échantillon relativement important (1618 électeurs) mais par internet. Pour des raisons de coûts, cette méthode se répand dans les instituts de sondage mais elle pose de réels problèmes en matière de mesure des intentions de vote. La reconstitution d'un échantillon réellement représentatif de la population électorale est encore plus problématique. Il va sans dire que l'anonymat du vote potentiel est, pour le moins, mis à mal. Le recours à des panels d'électeurs, attirés d'une manière ou d'une autre, est une autre source de biais.
Les sondages réalisés par téléphone ont mis du temps à être dotés, l'expérience aidant, d'une certaine fiabilité. L'enquête par internet est sans doute l'avenir obligé de la profession sondagière. Elle n'a pas encore fait ses preuves et il y a tout lieu de craindre que cette méthode détériore encore la qualité des résultats bruts recueillis, obligeant alors les sondeurs à de périlleuses opérations de redressement des résultats.
Ce sondage spectaculaire a encore le singulier défaut de ne teste qu'une configuration de candidature socialiste. La mesure exclusive des performances hypothétiques de Martine Aubry est d'autant moins justifiée que la première secrétaire du PS ne s'est pas plus portée officiellement candidate que Dominique Strauss-Kahn ou François Hollande, et plutôt moins que d'autres personnalités de calibre inférieur. L'institut a d'ailleurs fait triste figure en annonçant qu'il allait renouveler son coup de sonde en testant les deux candidats socialistes potentiels cités plus haut.
2. Un déplorable emballement médiatique. On se lasse de le répéter mais il est abusif de parler vraiment d'intentions de vote à plus d'un an d'une élection. Tout au plus, les instituts de sondages peuvent-ils quantifier des "votes imaginaires" dans le contexte de l'instant et au prix de configuration politiques très hypothétiques. Les "intentions de vote" dont on nous rebat aujourd'hui les oreilles ne sont que des cotes de popularité déguisées. Voilà qui explique les scores invraisemblables (plus de 60% des votes) attribués à Dominique Strauss-Kahn en cas de duel, au second tour, contre Nicolas Sarkozy.
Quitte à vouloir se pencher sur les entrailles des électeurs, les médias pourraient plutôt leur commander des enquêtes sur le scrutin cantonal des 20 et 27 mars. A trois semaines d'un vote qui concernera la moitié de la France, les "intentions de vote" cantonales auraient un sens. Ou les intentions de non-vote puisque tout laisse craindre un très haut niveau d'abstention. Bien sûr, la mesure des rapports de forces dans les cantons est un peu compliquée, mais ces enquêtes-là parleraient du réel.
3. Une nouvelle stratégie sarkoziste. Au-delà des outrances chiffrées et des vagues médiatiques, la montée en puissance de Marine Le Pen est incontestable. Le renouveau du Front national s'est déjà concrétisé dans les urnes lors des élections régionales de mars 2010. Le récent congrès de cette formation a révélé un "alter-lepénisme" qui peut être électoralement efficace en ces temps de crise politique, économique, sociale et morale. La farandole des "affaires" en tous genres, révélatrice de la corruption des élites, ne peut qu'alimenter l'extrême droite.
La stratégie sarkozyste de mise en scène des peurs autour de l'insécurité et de l'immigration y contribue aussi d'une manière telle qu'il est difficile de croire à une erreur de jugement. Le président sortant a fort peu de chances de récupérer, au premier tour, les électeurs séduits par la thématique lepéniste. Ils ont été douchés par son inefficacité. Nicolas Sarkozy ne poursuit-il pas, dés lors, une stratégie de second tour en flattant cette thématique ? Confiant dans son socle de premier tour, grâce à la solidité d'un noyau conservateur âgé et à sa capacité à empêcher un pluralisme à droite, il peut être tenté de jouer l'élimination d'un candidat socialiste qui trahirait son incapacité à capter l'électorat populaire. A tout le moins, Sarkozy peut espérer, par l'effet d'une proximité des discours, créer les conditions d'un bon report des lepénistes du premier tour face à un adversaire socialiste qui incarnerait un peu trop la mondialisation libérale.
ACTUALISATION LE 8 MARS:
Harris Interactive a publié son complément sondagier. Marine Le Pen serait aujourd'hui en tête du premier tour quel que soit le candidat socialiste... Un résultat étonnant. Soulignons que cette seconde enquête a été réalisée alors que le tohu bobu provoqué par la première battait son plein. Avec deux effets possibles. Le premier est favorable à Le Pen, bénéficiaire d'une belle exposition médiatique. Mais un second effet aurait pu lui nuire, les sondés pouvant craindre un second tour sans leur camp... Il est urgent d'attendre de prochaines enquêtes !
L'hypothèse d'une élimination de Nicolas Sarkozy du second tour de la présidentielle n'est pas farfelue. Mais les probabilités d'un "21 avril à l'envers" demeurent moindres que celles d'une nouvelle absence de la gauche au tour décisif. La dispersion des candidatures s'annonce plus forte à gauche qu'à droite. Sur la base d'une lecture naïve des sondages, les socialistes avaient choisi Ségolène Royal en croyant qu'elle leur rapporterait la victoire contre Sarkozy. Il ne faudrait pas qu'ils s'imaginent que Dominique Strauss-Kahn leur garantit une qualification au second tour et le succès final...
Il est évident que l'on ne répond pas de la même manière face à un ordinateur qu'à un sondeur au téléphone, et qu'à un sondeur en face à face.
L'échantillonnage du sondage par internet est établi selon des critères identiques à ceux des autres terrains : âge, sexe, CSP, région, habitat.
Avec quelques recoupements, il est aisé de savoir si l'interviewé dit vrai ou raconte des salades.
Quant à l'anonymat des sondages réalisés en face à face, il est nul.
Saviez vous que lorsque des sondages politiques sont réalisés, il y a des gens qui écoutent et qui contrôlent la qualité du travail des enquêteurs ?
Rédigé par : collectif sondage | 07 mars 2011 à 22h55
@collectif sondage
Oui, je sais que les enquêtes par internet sont réalisées par quotas sociaux-professionnels comme les autres. Mais cela ne suffit pas à assurer la représentativité réelle des échantillons étant donné les limites de cette méthode.
Vous êtes bien optimistes sur la manière de vérifier qu'un sondé "dit vrai". Chaque méthode d'enquête a ses défauts. L'automatisation des sondages par internet peut rassurer les instituts eu égard au risque de "bidonnage". Les enquêtes par téléphone (très surveillées, effectivement) sont déjà plus faciles à vérifier que celles en face à face. Mais le recrutement d'un panel sur une base volontaire ne crée-t-il pas un biais ?
Non, l'anonymat d'un sondage en face à face n'était pas nul lorsque l'enquêteur faisait déposer un bulletin dans une urne en carton. C'était il y a longtemps, je vous l'accorde. Le face à face n'est quasiment plus possible pour de multiples raisons (digicodes, rythmes de vie, crainte de faire entrer un inconnu etc.)
Rédigé par : Eric Dupin | 08 mars 2011 à 08h57
"Mais le recrutement d'un panel sur une base volontaire ne crée-t-il pas un biais ?"
le même biais existe sur les autres terrains. Il faut de nombreux appels pour obtenir un inter réalisé jusqu'au bout.
Pour 1000 inters à faire par téléphone, un fichier de 10.000 est le minimum.
Les enquêtes politiques en face à face ne sont plus possible du fait de leur coût, principalement.
le digicode n'est pas trop un problème pour de nombreux enquêteurs qui ont récupéré la clef PTT.
et cela ne se fait pas par urne, mais avec un ordinateur portable (CAPI), et les données sont envoyées numériquement au service traitement de la société de sondage (et non pas institut. seul l'Insee est un institut).
Rémi Caveng (université de Picardie) a écrit un livre très instructif sur les enquêteurs de sondage.
Rédigé par : collectif sondage | 08 mars 2011 à 13h24
Les derniers sondages Louis Harris (et ceux des autres « instituts », possédés comme par hasard par des happy few du CAC40) sont à l’objectivité ce que moi je suis à Benoît 16.
Ma première réaction a été de penser : ben, en ne comptant pas DSK dans le questionnaire, fallaitt éviter que Foutriquet 1er arrive troisième donc « battu », il nous en aurait fait un caca nerveux.
Puis je me suis mis à écouter ceux qui pensaient qu’en fait c’était un coup de pute, non, de pub, pour continuer à nous vendre en loucedé du DSK pur FMI, tant il commence à se voir que Mr et Mme MEDEF-CAC40 ont grave la tehon de se voir discrédités à l’international, le seule endroit qui vaille pour leurs gains, par l’agité carlaphone. DSK qui est de gauche comme moi je suis corridaphile, hein, Flamant Rose.
Un 2002 à l’envers ? Un NS battu de suite et des gens de droite qui par sursaut républicain feraient ce que nous avons fait, : voter pour l’autre camp ? Faut pas rêver, non mais des fois : il s’allieront à cette dame qui est, quand même, hein, s’pas, autrement plus acceptable à table que son vilain pas beau de père…
Rédigé par : PMB | 08 mars 2011 à 18h13
Merci pour votre nouveau billet. Nous espérons tous qu'ils seront plus réguliers à l'avenir.
A la réflexion, vous avez sans doute raison, la montée de MLP dans les sondages favorise davantage NS que le PS. Un 2002 à l'envers est en effet peu probable dans la mesure où la gauche est plus divisée que la droite.
Néanmoins, si DSK était canididat, on peut penser que de nombreux électeurs de droite, déçus par NS, voteraient pour le candidat du PS et que, parallèlement, des électeurs de gauche pourraient être tentés par "le vote révolutionnaire" anti-système en faveur de MLP qui permettrait d'éliminer NS au 1er tour, sans routefois hypothéquer l'avenir. Dans ce cas, outre NS,le grand perdant de ces élections serait une nouvelle fois la gauche de la gauche.
Rédigé par : pchatel | 09 mars 2011 à 08h02
Ce billet me met mal à l'aise. Il me met mal à l'aise car avec ce billet, Eric Dupin, vous tombez dans les travers de vos confréres. Il suffit d'écouter ce qui se dit autour de nous pour admettre que la montée de Marine le Pen n'est pas une vue de l'esprit que ce soit19, 20 ou 23 %. Je trouve aberrant de faire un débat autour des sondages surtout à 14 mois des échéances électorales. Il est incontestable que la France est malade, c'est un pays qui comme d'autres a la fièvre et discuter sur la fiabilité des sondages, c'est essayer de casser le thermomètre plutôt que de vouloir connaître l'origine de cette fièvre et les conséquences qui en découlent avec la montée de Marine le Pen. Je trouve donc ahurissant de voir des gens du métier, journalistes et éditorialistes, entamer un tel débat sur les sondages et cela pose un problème qui pour moi n'est pas nouveau, c'est celui de la crédibilité à accorder aux journalistes. En effet Marine le Pen devrait être un sujet d'inquiètude pour les démocrates y compris et surtout pour les journalistes. C'est donc à la situation des Français qu'il faut s'intéresser, c'est aux causes qui font que Marine le Pen progresse dans l'opinion qu'il aurait fallu consacrer un billet et non pas contester le fait qu'elle soit à tel ou tel niveau en terme d'intentions de vote. Aujourd'hui il y a une personne qui analyse bien la situation , il y a une personne qui essaie d'apporter des réponses, il y a une personne qui en tire vraiment des conclusions, ce n'est pas un journaliste, c'est un politique et c'est un socialiste, son nom : François Hollande. Et puis François Hollande ne serait-il pas un Pompidou de gauche ? Je l'aime bien cet homme, en tous cas surement plus que DSK. Si je n'étais pas fidèle à la majorité je serais volontiers holland... (iens), (istes) (olistes). Je laisse à PMB jeune retraité et ex prof de français le soin de terminer le mot s'il le veut bien et qu'il me pardonne de ne pas condamner la corrida.
Rédigé par : flamant rose | 09 mars 2011 à 17h33
"C'est donc à la situation des Français qu'il faut s'intéresser, c'est aux causes qui font que Marine le Pen progresse dans l'opinion qu'il aurait fallu consacrer un billet" me conjure flamant rose. J'ai fait mieux puisque je sors demain un LIVRE consacré "à la situation des Français" ! J'y ai consacré près de deux ans. D'où ma faible présence sur ce blog. Difficile de me reprocher de rester confiné dans les préoccupations du microcosme...
Rédigé par : Eric Dupin | 09 mars 2011 à 17h45
Je suis à lire "Démolition avant travaux" de Philippe Meyer, consacré au patacaisse d'avril 2002.
Aussi lucide que cruel pour la classe politique.
Qui, à droite comme à gauche, n'a tiré aucune leçon de cette magistrale embrouille.
Quant à ce 2012 qui vient. Il m’a fallu du temps pour arriver à cette décision mais, aux présidentielles… je m’abstiendrai, premier et deuxième tour. Ainsi qu’aux législatives. Pourquoi ?
1 Parce que, on l’a bien vu avec le vote européen de 2005, quand notre choix ne les arrange pas, eux qui sont nos élus càd des gens mis là pour faire ce qu’on leur a dit et pas ce qu’ils veulent, ils le contournent.
2 Parce qu’aucun parti n’est productif d’autre chose que de sa survie bien grasse, tant les partis de gouvernement (majorité-opposition) que les partis tribunitiens, qui n’ont que leur bavardage à vendre.
On risquerait de laisser passer MLP ? Et alors, vous croyez qu’en matière de xénophobie et de flicage du pays elle peut faire pire que NS ? Vous pensez qu’elle aurait plus de pouvoir que quiconque sur les banque-sters ? Vraiment ? Vous croyez qu'elle est plus abjecte que les Balkany, que Woerth, qu'Hortefeux, que Besson, que MAM-Ollier etc. ?
3 Parce que le vote blanc, dont les élus en place ne veulent pas car il nous permettrait de chiffrer notre refus de leur offre pourrie, est impossible.
Nous n'avons plus aucune espèce de pouvoir sur ces gens déconnectés de notre monde. Le seul petit pouvoir que nous avons, fragile mais concret, est sur la vie quotidienne de nos quartiers,de nos villages. Eric Dupin avec son livre peut en témoigner - enfin, témoigner de cette volonté :-)
Flamant Rose : rien.
Rédigé par : PMB | 09 mars 2011 à 19h34
Merci pour cette analyse judicieuse, E. Dupin.
Rédigé par : D.H. | 09 mars 2011 à 20h54
Il n'est pas un jour sans que nous n'ayons droit à un sondage sur un événement donné. Le sondage remplit une fonction de modélisation, de "moyennage". A force de dire aux gens : "60% d'entre vous pensent "ceci ou cela", on cimente une majorité d'opinions, rendant plus difficile l'expression d'une différence. On construit une norme, celle d'une majorité, au nom de laquelle certains pourront parler, et par laquelle on tentera d'imposer le silence à ceux qui pensent différemment, ou qui ne s'étaient jamais posé la question. A quoi bon se forger sa propre opinion, et l'exprimer, puisque ce que pense la majorité est déjà clairement établi, et puisque je n'ai aucune chance de voir retenue l'idée que le problème posé peut être absorbé sur un tout autre point de vue.
On aboutit ainsi à la création d'un ensemble de valeurs superficielles et éphémères, qui tient lieu de référence socioculturelle, par rapport auquel chacun sera tenté de se situer. Véritable appareil de surcodage de ce qui doit être pensé, de domination de ceux qui, commanditaires, veulent que l'on pense dans un sens, les sondages sont l'ennemi public d'un droit à la différence, ils sont l'ennemi de la démocratie.
Rédigé par : flamant rose | 10 mars 2011 à 10h23
Pasz toujours d'accord avec Duhamel, je conseille cependant sa chronique de ce jour.
Rédigé par : PMB | 10 mars 2011 à 12h35
En tous cas, barrer la route à MLP sera surement au programme de 2012. Hélas, les gens ont la mémoire trop courte...
Rédigé par : valérie | 17 mars 2011 à 09h33