Engagés dans l'action, les hommes politiques répugnent ordinairement à toute forme d'autocritique. Jean-Pierre Chevènement n'échappe nullement à la règle. Dans son dernier livre, le leader du Mouvement Républicain et Citoyen se livre pourtant à une analyse rétrospective de l'échec du projet qui fut le sien. Il l'admet, la ruse de l'histoire a été cruelle: "La gauche française croyait en 1981, tel Christophe Collomb, découvrir les Indes (le socialisme). Elle a découvert l'Amérique (le néo-libéralisme)". L'ancien ministre évoque, pour expliquer ce fâcheux retournement, la "malchance des temps" qui a voulu que la gauche parvienne au pouvoir en phase ascendante du cycle néo-libéral.
Mais Chevènement reconnaît aussi honnêtement qu'il s'est trompé sur le compte de François Mitterrand. Ses amis du Ceres, dont le véritable projet avait été de "continuer la France" (ce qui n'était pas annoncé en ces termes dans les années soixante-dix), s'étaient imaginés que le futur président deviendrait "l'Homme de nation" en épousant la fonction forgée par le général de Gaulle. "C'était ne pas comprendre François Mitterrand et même sous-estimer la complexité du personnage", écrit-il aujourd'hui. Hanté par les guerres franco-allemandes, convaincu que la France n'avait plus les moyens d'une politique indépendante, le vainqueur de 1981 nourrissait, au rebours, un projet de type européen. Chevènement le dépeint comme un complice inconscient de la "mondialisation financière" accompagné par les institutions européennes. Encore note-t-il justement que, dans l'esprit mitterrandien et de manière cette fois-ci consciente, la construction européenne a bel et bien servi de projet substitutif à un socialisme abandonné.
L'ancien (et peut-être futur) candidat à l'élection présidentielle nous livre aussi une analyse fouillée de la crise européenne et des moyens de la résoudre. Il a beau jeu de souligner le "vice de conception" de l'euro. Mais s'il annonce de "futures crises", Chevènement ne prône pas l'abandon de la monnaie unique. Il préfère explorer les voies de "nouvelles règles du jeu" autour d'une politique de change plus réaliste et d'une priorité enfin donnée à la croissance européenne.
La réorientation profonde de la construction européenne que Chevènement appelle de ses voeux a toutefois peu de chances d'entrer dans les faits. On lira avec intérêt les développements qu'il consacre à l'avenir de la relation franco-allemande avec une discussion serrée des thèses du philosophe Peter Sloterdijk sur la "sortie de l'histoire" des peuples européens. Si Chevènement est évidemment partisan de "continuer l'histoire", il fixe un objectif limité au Vieux Continent. Dans un monde marqué par "la fin de la domination européenne et occidentale", il s'agit seulement d'organiser la "résilience" de l'Europe, sa "survie". Pour autant, la "République européenne" dont il souhaite l'avènement à terme s'annonce comme une vaste entreprise puisqu'elle comprendrait jusqu'à la Russie.
Jean-Pierre Chevènement, "La France est-elle finie ?", Fayard, 314 pp., 19 €.
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