En trente ans, le scrutin européen n'a pas réussi à s'installer dans le paysage électoral. Le sixième renouvellement du Parlement de l'Union, le 7 juin prochain, risque d'être à nouveau marqué par l'apathie civique. A l'exception de l'élection de 1994, le taux d'abstention au scrutin européen grimpe régulièrement en France. Il a bondi de 39,3 % en 1979, à 57,2 % en 2004.
Les premières indications ne laissent guère présager un renversement de tendance. En février, selon l'enquête Eurobaromètre qui vient d'être rendue publique (1), 54 % des Européens (et 53 % des Français) se déclaraient « pas intéressés » par cette élection. Plus récemment, selon l'institut LH2 (2), ce sont 47 % des Français qui avouaient leur désintérêt pour le scrutin européen. Les chiffres d'Ipsos (3) sont tout aussi inquiétants. Seulement 49 % des électeurs se disaient, à la mi-mars, « certains d'aller voter », contre 69 % trois mois avant le scrutin en 2004. Le devenir du Parlement européen est certes aujourd'hui le cadet des soucis de Français confrontés à une violente crise économique. Mais ce désintérêt s'explique aussi par des raisons qui vont bien au-delà de cette conjoncture défavorable.
L'élection européenne souffre d'abord de porter sur un enjeu insaisissable. Les citoyens ont du mal à cerner le pouvoir de codécision des députés européens. La pratique du compromis en l'honneur à l'Assemblée de Strasbourg est, en outre, étrangère à une culture politique française structurée autour de l'affrontement droite-gauche. En ce début de campagne, le PS s'efforce de « cliver » son discours européen en appelant de ses voeux l'élection d'une majorité de gauche anti-Barroso au Parlement. La pertinence de cette stratégie n'en est pas moins sérieusement amoindrie par l'hétérogénéité du PSE. Plusieurs chefs de gouvernement appartenant à la gauche européenne, et non des moindres comme Gordon Brown et José Luis Zapatero, s'accommodent fort bien de l'actuel et libéral président de la Commission.
Le vote dans une Union élargie à 27 membres réduit encore l'impact des bulletins de vote. Avec l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, la représentation française s'est réduite et glisse en dessous de 10 % (72 élus sur 736). Selon les premières projections (4), les équilibres politiques au sein du Parlement européen ne devraient guère être bousculés par les votes du 7 juin. La majorité de centre-droit ne semble pas menacée sauf retournement d'alliances.
Il est dès lors peu surprenant que 69 % des personnes interrogées estiment que « ces élections ne vont pas changer quelque chose à la situation actuelle de la France » (LH2). Participer à un scrutin dont l'issue vous indiffère est d'autant plus vertueux que les élus choisis sont, eux aussi, insaisissables. Le scrutin européen produit des députés qui n'ont pas d'électeurs attitrés. Le mode de scrutin proportionnel les dispense d'avoir des comptes à rendre à un territoire bien défini.
La réforme instituant, à partir de 2004, de très vastes circonscriptions régionales n'a pas amélioré les choses. Au contraire, elle a affaibli la légitimité européenne des députés sans assurer leur ancrage local. La pseudo-régionalisation du mode de scrutin introduit de funestes logiques de rivalités entre baronnies au détriment de la compétence européenne des candidats. Le PS et l'UMP illustrent ce phénomène en évinçant des députés sortants actifs à Strasbourg pour cause de jeux politiciens infra-nationaux. L'élection européenne souffre aussi d'être souvent le refuge provisoire de recalés du scrutin législatif, d'apparatchiks soucieux de leur confort matériel ou encore de personnages récompensés pour services rendus.
Si le chemin des urnes n'est malgré tout pas déserté, c'est que l'élection européenne remplit une fonction qui a peu à voir avec l'avenir de l'Union. Elle s'apparente à un sondage grandeur nature, une sorte de baromètre des humeurs nationales. Ses effets sur la vie politique ne sont pas négligeables. On se souvient de l'émergence du Front national en 1984 ou bien de l'assassinat électoral de Michel Rocard en 1994. L'anxiété sociale générée par la crise ne manquera pas de produire ses effets le 7 juin. Un scrutin qui se déroule en pleine dépression économique pourrait réveiller certains électeurs désireux d'exprimer un message non spécifiquement européen.
(1) Enquête Eurobaromètre, réalisée pour le Parlement européen auprès de 27.218 citoyens dans les 27 pays membres, entre la mi-janvier et la mi-février.
(2) Enquête LH2, 27-28 février.
(3) Enquête Ipsos-« Le Point », 13-14 mars.
(4) Voir http://www.predict09.eu
Article publié dans Les Echos du 20 avril 2009.
Voyez come vous avez raison, les élections n'intéressent personne semble-t-il, et je trouve cela dommage personnellement, mais bon que peut-on attendre d'un pays où le "non" au référendum l'a emporté à plus de 50%. Votre long silence est peut-être aussi pour quelquechose dans le peu de réactions à votre post, j'espère que tout va bien pour vous.
Rédigé par : Vox | 23 avril 2009 à 12h10
Et que penser de la conception qu'a notre garde des sceaux de l'europe!
Rédigé par : claude | 24 avril 2009 à 08h18
@ Vox
"Que peut-on attendre d'un pays où le "non" au référendum l'a emporté à plus de 50%."
Et que dire de ses dirigeants qui ont passé outre à une décision du peuple en faisant adopter par la voie parlementaire un texte qui avait été rejeté par référendum?
Rédigé par : chatel | 24 avril 2009 à 12h53
@chatel : Bien dit !
Sont fatigants ces gens, à cracher sur leur pays lorsque le vote ne leur convient pas ! Bien étrange conception de la démocratie !
Rédigé par : Alain | 27 avril 2009 à 17h24
A Alain et Chatel, vous en êtes encore là ?
Je ne crache pas sur mon pays vous en déplaise Alain, mais l'Europe a pour moi une grande importance et je considère que les élections pour le parlement européen sont toutes aussi cruciales que des élections nationales, je n'en ferais pas un vote sanction contre tout gouvernement en place. Voyez-vous je suis reconnaissant à cette entité tant décriée d'avoir su donner à ce continent 60 ans de paix en continue (exception des Balkans mais c'est une autre histoire). Les pères de l'Europe avaient une vraie vision de l'avenir et sont allés à leur époque contre le "peuple", parce qu'il a toujours raison le "peuple" selon vous? Un référemdum en 1957 aurait donné les résultats que l'on sait et on aurait continué à se mettre dessus comme au bon vieux temps. Je sais très bien l'Europe n'est pas parfaite loin de là, mais je sais aussi que le parlement européen a de l'importance dans notre vie nationale et en aura encore plus, donc si l'on veut que les choses changent il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
Rédigé par : Vox | 29 avril 2009 à 09h40
@ Vox
"Un référemdum en 1957 aurait donné les résultats que l'on sait".
Il y a une grande différence entre ne pas faire de référendum et passer outre à une décision du peuple.
Rédigé par : chatel | 29 avril 2009 à 20h07