Les socialistes jouent gros en choisissant leur candidat à l'élection présidentielle. Le vote automatique sur étiquette n'est plus qu'un souvenir. La personnalité du candidat, son profil idéologique et ses choix stratégiques pèsent lourd. C'est encore plus vrai pour le courant socialiste, dont l'électorat est particulièrement élastique. Sous la Ve République, son candidat a recueilli entre 5 % (Gaston Defferre en 1969) et 34 % (François Mitterrand en 1988) en passant par les fameux 16 % du 21 avril 2002.
Les enquêtes de précampagne confirment une vive sensibilité de l'électorat à l'identité du candidat socialiste. Son score passerait quasiment du simple au double selon les cas. Pour TNS-Sofres, les intentions de vote s'étagent entre 17 % pour Laurent Fabius, 22 % pour Dominique Strauss-Kahn et 34 % pour Ségolène Royal (1). À l'Ifop, les écarts sont du même ordre avec respectivement 14 %, 19 % et 26 % (2). Inutile de se focaliser sur le détail de ces chiffres. Rappelons que Lionel Jospin était crédité de 22 et 23 % des intentions de vote par les deux instituts précités en octobre 2001. La campagne est une épreuve de vérité imprévisible et les sondages de précampagne ne disent rien sur les performances des futurs candidats. Ces écarts, sans précédent historique, signifient surtout que le candidat socialiste, quel qu'il soit, devra bâtir sa propre équation électorale.
L'affaiblissement des allégeances partisanes attribue au profil de chaque postulant une importance cruciale. Or, au-delà des ambitions personnelles, les trois candidats socialistes en compétition se distinguent nettement sur un triple plan, sociologique, idéologique et stratégique.
Commençons par le candidat le plus chevronné. Mitterrandiste historique, Laurent Fabius occupe désormais le flanc gauche du parti. Candidat de la mémoire socialiste, il s'efforce de réactiver les mécanismes qui avaient tant réussi à son mentor. Son discours carré et presque pansyndical est entendu d'une fraction populaire de l'électorat socialiste. Ce sont les sympathisants du PS de foyers ouvriers et employés qui préfèrent le plus sa candidature (3). De même Fabius enregistre-t-il ses meilleurs scores chez les électeurs socialistes à faibles revenus et niveaux d'éducation. L'ancien champion du non est enfin mieux compris dans ces villes moyennes où le PS est souvent appuyé par un électorat modeste. Le nouveau Fabius est le candidat socialiste préféré des électeurs proches du PCF ou de l'extrême gauche (4). Sa capacité à reconstituer l'union de la gauche s'accompagne toutefois d'une faible crédibilité auprès des Français.
Face à ce profil de type mitterrandien, Dominique Strauss-Kahn reprend à sa manière la posture rocardienne. D'origine mitterrandiste par son compagnonnage avec Lionel Jospin, DSK est devenu le leader de l'aile modérée du PS regroupant anciens jospinistes et rocardiens. Social-démocrate et rénovateur, l'ancien ministre de l'Economie séduit la fraction moderniste et aisée de l'électorat PS. C'est parmi les professions intermédiaires et surtout les cadres supérieurs que la préférence pour sa candidature est la plus forte. Ses soutiens sont les plus nombreux chez les électeurs socialistes disposant des plus hauts revenus et du niveau d'éducation le plus élevé. Et l'élu de Sarcelles brille surtout en région parisienne comme dans les grandes agglomérations. L'image droitière de DSK se retrouve dans l'ensemble de l'électorat. Les sympathisants de l'UMP, et particulièrement de l'UDF, le préféreraient à Royal comme candidat du PS.
La force de Ségolène Royal est de camper au centre du triangle socialiste qu'elle forme avec ses deux rivaux. Ses transgressions idéologiques calculées lui valent à la fois une écoute des milieux populaires et un intérêt de l'électorat modéré. Mieux encore, la candidate du Poitou-Charentes combine cet élargissement d'audience avec une forte assise au coeur même de l'électorat socialiste. Elle obtient la préférence la plus marquée chez les sympathisants du PS employés ou ouvriers dans le secteur public. Royal est la plus performante parmi les électeurs socialistes de revenus et niveaux d'éducation moyens. Ce sont d'abord les sympathisants des Verts ou du PS qui souhaitent qu'elle porte les couleurs de ce parti à l'élection présidentielle. Et les professions intermédiaires sont les plus enclines à voter pour elle. Le cocktail Royal mêle encore tradition et modernité. D'un côté, elle est la candidate de la France des « territoires », mieux appréciée dans les communes rurales ou de taille modeste. De l'autre, elle perce chez les jeunes et les femmes. À la fois candidate de l'opinion et de l'appareil, Royal brouille les cartes en composant un personnage où la modération delorienne se marie avec une démagogie populiste.
Selon les sondages, environ 60 % des sympathisants socialistes choisiraient Royal, quelque 30 %, Strauss-Kahn et à peu près 10 %, Fabius. La campagne interne et les débats télévisés ont, semble-t-il, profité à DSK. Mais ce sont les militants, et non les électeurs, qui voteront le 16 novembre. D'après les pointages internes, la candidature Fabius devrait obtenir un score beaucoup plus important, peut-être supérieur à celui de Strauss- Kahn. Et Royal n'est pas assurée de l'emporter au premier tour. Elle bénéficiera, en toute hypothèse, de l'impact, sur le choix des militants, de la préférence des électeurs. Les primaires à la française attribuent de facto aux sondages un rôle stratégique d'aide à la décision du parti.
(1) Enquête TNS-Sofres-RTL-LCI Le Figaro, 8-9 novembre 2006.
(2) Enquête Ifop-Paris Match, 12-13 octobre 2006.
(3) Cumul de six enquêtes Ipsos-Le Point auprès de 1 385 sympathisants PS, du 29 septembre au 4 novembre.
(4) Enquête CSA-Profession politique, 8 novembre 2006.
Article publié dans Le Figaro du 13 novembre 2006.
http://www.votez2007.com/tour1vote.asp
Rédigé par : florent | 15 novembre 2006 à 20h17
Merci Jean.
Merci d'avoir opposé une nième non réponse, un bottage en touche.
Vous écrivez : "Je ne suggère, ne propose, ne conseille rien à banquier, médecin, garagiste. Mais si je ne suis pas content, j'en change". Le client Jean est donc un client docile et binaire. Il ne dit rien et se barre quand il n'est pas content. L'heureux homme.
Sauf qu'en matière d'enseignement, on ne peut pas changer. Ou plutôt, tout le monde ne peut pas changer. Maternelles, primaire, collèges, lycées sont imposées. Les plus thunés peuvent "changer", les autres c'est ça ou rien. Bref normalement de quoi avec un soupçon d'humanisme d'être à l'écoute des parents, non pour souscrire à toute suggestion, remarque ou critique, mais pour simplement répondre, argumenter, expliquer.
Même dans l'intuitu personnae du présent blog, trois posteurs non enseignants ne peuvent obtenir de réponses simples sur "comment vous bossez, comment vous êtes organisé" de leur trois amis posteurs de l'EN. La fatigue est à ce point présente que Jean se contente en guise de réponse d'un "déjà dit, déjà écrit".
Sûrement ami, mais c'est de nos copains de blog qu'on aimerait apprendre des choses sur l'organisation et la façon de bosser. Ce ne sont pas les jérémiades anonées ici ou là "on manque de moyens", "il n'y a pas assez de personnel" que nous souhaiton re-relire, c'est du factuel apuré du pathos, des éléments du réel dénué de tout jugement de valeur, de toute appréciation perso. Juste de quoi comprendre la réalité du job.
Nous en resterons là, c'est-à-dire dans la fin de non recevoir, et l'évasive. Ce qui constitue en soi un feed back d'ailleurs : la réticence à dire ce que l'on fait, et donc un relatif "je m'en foutisme" des parents contributeurs-utilisateurs. Nous reste à ronger le nonosse du "on nous aime pas", "on nous valorise plus".
Le moins que l'on puisse objecter c'est qu'à ce compte-là, cela ne peut que s'aggraver.
Vous nous permettrez donc en l'état de rester hermétiques aux gesticulations syndicales, aux slogans d'Aschieri, et à vos antiennes professionnelles. Sans éclaircissements, sans explications, nous reste que nos bons sens organisationnels tels que propres à nos univers privés, capitalistes et libéraux. Sans échange, sans transparence, je ne vois pas comment faire autrement.
Au fait, vous n'aviez pas de photocopie et manuel ? Et saviez-vous cher Jean, qu'on peut tout à fait se noyer dans un verre d'eau. Quand on additionne à priori les QI, les diplômes, bref la somme de gens extrêmement intelligents qui naviguent à l'EN, et le nombre vertigineux de ceux qui donnent cours, de ceux qui sont dans l'administration (rectorats..) et au ministère, savoir que vous en êtes encore réduits aux problèmes des photocopies ou de manuel a quelque chose d'abyssal. Un motif parmi "n" pour mettre un petit coup de pied dans la termitière.
Dont acte.
Rédigé par : Matéo | 16 novembre 2006 à 09h00
Petit point de détail et d'incompréhension (je vous dis pas le reste).
Nous avons des manuels, et je peux faire toutes les photocopillages que je veux. Mais comme je suis un grand garçon j'arrive à ne pas me noyer dans un verre d'eau, je fais un mix, avec mon scanner et mon traitement de texte, je pars de documents trouvés dans des manuels ou dans des livres (romans, pièces, recueils de poésie). Ça me permet de présenter aux élèves un document propre (la simple photocop d'une page de livre, c'est parfois craspec et inexploitable pour des enfants qui n'arrivent à lire du Times qu'à partir du corps 12) et adapté (à la vitesse où leurs compétences décroissent, ils n'arrivent plus à répondre à un questionnaire élaboré il y a cinq ans).
Si votre adresse est opérationnelle, je vais vous en offrir la preuve.
Pour le reste : "déjà écrit, déjà lu", je confirme. Content de vous avoir donné une raison supplémentaire, si j'en crois la fin de votre post, de me prendre et de nous prendre de haut.
Rédigé par : Jean Dupont | 16 novembre 2006 à 13h29
"de me prendre et de nous prendre de haut" : mettons cette remarque finale sur le compte d'un petit mécanisme projectif.
Trois internautes qui posent des questions simples et volontairement naïves, pas de réponse malgré les sollicitations répétées des uns et des autres : et c'est nous qui vous prenons de haut.
"Déjà lu, déjà dit" genre, ça me gonfle de redire, et le "je vous dis pas comment vous n'avez rien compris", et c'est moi ou nous qui vous prenons de haut.
Seriez pas dans l'enseignement par hasard ?
;-))
Rédigé par : Matéo | 16 novembre 2006 à 16h55
Bien d'accord sur le fait que vos questions sont naïves (au bon sens du terme). Simples, peut-être, mais pas la réponse, qui demanderait beaucoup de temps. Libre à vous de penser que c'est une dérobade. Moi je pense que c'est inutile. Je l'ai fait, nous l'avons fait sur le BBB et ça n'a rien changé d'un iota dans les réactions des autres posteurs qui ('s'il vous plaît, ne le prenez pas mal) sont ni plus ni moins intelligents que vous. Les parties jouées d'avance ne m'intéressent pas. Pas de mépris ici, du réalisme. Et du pessimisme : le pire est devant nous.
Pas compris la fin de votre message. Mettons-la sur le compte d'un petit énervement.
Pas grave.
Et tenons-nous en (pour ma part, au moins) là.
Rédigé par : Jean Dupont | 16 novembre 2006 à 17h11
Le déroulement de ce fil de discussion est extrêmement instructif.
Si, au niveau individuel, il reflète fidèlement l'état du dialogue entre le gros des troupes de l'Education nationale et le pays -- et il y a tout lieu de le penser --, alors il constitue la démonstration scientifique, expérimentale, que le Mammouth ne bougera jamais.
Il constitue la démonstration que les arguments les plus factuels, les plus précis, les plus détaillés, les chiffres réclamés par ceux-là même qui les ignorent ensuite, les critiques les plus équilibrées, prenant en compte les difficultés et les positions des uns comme des autres, les ouvertures les plus conciliantes, se heurtent, immanquablement, à ceci: la loi du silence, le refus de discuter, l'omerta mafieuse et corporatiste, la geignardise continuelle, la posture victimaire, le renversement des valeurs, l'accusation infamante d'arrogance et de mépris, alors qu'à l'évidence, l'arrogance et le mépris sont du côté des serviteurs de la nation qui refusent de répondre aux légitimes interrogations de la nation.
C'est bien la preuve que toutes les politiques d'apaisement, de dialogue constructif, de bonne foi, de négociation, de conciliation avec les troupes de la fonction publique et leurs syndicats, que les gouvernements de gauche et de droite mènent depuis des décennies, ne marcheront jamais, pas plus qu'elles n'ont jamais marché dans le passé.
On ne négocie pas avec des terroristes. On les combat.
Il faut casser la fonction publique française et ses syndicats. Il n'y a pas d'autre issue. C'est la nation dans son ensemble, contre 25% de mafieux autistes qui n'écoutent que leurs intérêts.
Il faut une Margaret Thatcher à la France.
Quant aux enseignants qui ne trouvent rien de mieux à répondre, aux critiques dirigées contre l'Education nationale, que l'inénarrable "venez faire mon boulot à ma place si vous n'êtes pas contents", qu'ils démissionnent s'ils n'aiment pas leur travail, au lieu de nous faire l'éternel chantage du petit voyou qui se croit irremplaçable.
Et qu'ils laissent leur place aux deux tiers de jeunes profs qui sont satisfaits de leur salaire, et aux 90% d'entre eux qui aiment leur métier, qui se félicitent de l'avoir choisi et qui n'ont pas l'intention d'en changer.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 16 novembre 2006 à 17h27
Monsieur Marchenoir,
Merci pour vos propos conciliants, apaisants, constructifs, sagaces, modérés, dénués d'arrogance et de mépris.
Rédigé par : Jean Dupont | 16 novembre 2006 à 17h56
"petit voyou qui se croit irremplaçable."
A ma liste d'adjectifs louangeurs, Monsieur Marchenoir, je dois ajouter "élégant".
Rédigé par : Jean Dupont | 16 novembre 2006 à 20h20
Finalement, la vie est plus belle et je vaux mieux que je le crois.
Car je suis capable, avec deux collègues, de bloquer à moi tout seul la remarquable (pas d’ironie ici) machine à réfléchir de ce blogue et de déclencher une des plus saintes, des plus grandioses, des plus terrifiantes colères de Robert Marchenoir, qui a pourtant quelques fameux ouragans à son actif dans la blogosphère, l'atmosphère et même la stratosphère. Pas trop fatigué, mon Robert ?
Vais me coucher, moi (38° de fièvre, mais désolé, pas à cause de vous, les poteaux ;-).
Rédigé par : Pierre-Marie Bourdaud | 16 novembre 2006 à 21h17