L'ennui avec les idées reçues, c'est qu'elles sont rarement totalement
fausses. Mais elles polluent suffisamment le jugement pour qu'on puisse
utilement les interroger. D'autant plus qu'en politique, même
infondées, les idées portent à conséquence à force d'être répétées.
Examinons rapidement cinq lieux communs qui hantent la précampagne
présidentielle de 2007.
Le Pen progresse. Cette antienne doit beaucoup au remords
d'observateurs qui n'ont pas anticipé son surgissement du
21 avril 2002. Elle s'appuie aussi sur une comparaison hâtive avec les
sondages réalisés à l'automne 2001. Le candidat du FN était crédité de
7 % des intentions de vote et il a obtenu 16,8 % des suffrages six mois
plus tard. Comme les enquêtes d'opinion le jaugent aujourd'hui aux
alentours de 10 %, l'application du correctif équivalent le situerait à
24 % des voix sur la ligne d'arrivée. C'est oublier qu'un écart de
cette ampleur ne s'est nullement produit en 1988 et en 1995. Ces
années-là, Le Pen avait seulement recueilli deux ou trois points de
plus que ce qu'indiquaient les enquêtes préélectorales effectuées six
mois auparavant.
Rien n'est au mécanique. La surprise de 2002 fut d'autant plus forte
que le FN, affaibli par une scission interne et sa contre-performance
aux élections européennes de 1999 (5,7 % des voix), était totalement
oublié des médias à la rentrée 2001. Le contexte était enfin
particulièrement favorable à l'extrême droite en 2002, la droite et la
gauche étant représentées par les deux têtes de l'exécutif. Ce ne sera
pas le cas l'année prochaine.
Sarkozy fait peur. Par son caractère et sa manière d'agir, le
président de l'UMP suscite de vives réactions, positives mais aussi
négatives. Son affirmation d'une identité de droite sans complexe lui
vaut la profonde hostilité de l'opinion de gauche politisée. Sa
promesse de « rupture » inquiète encore l'électorat allergique aux
recettes libérales. Et son tempérament suscite des interrogations au
sein même de la droite. L'enviable popularité dont bénéficie Nicolas
Sarkozy n'en est que plus impressionnante. Son « potentiel électoral »
de premier tour (1) s'élève à 56 % des personnes interrogées. Ségolène
Royal se situe sept points au-dessus. Mais le « noyau électoral » de la
dirigeante socialiste est inférieur de quatre points à celui du chef de
l'UMP. Surtout, Royal doit son audience actuelle à un positionnement
centriste encore instable alors que Sarkozy a clairement creusé son
sillon à droite.
Les sondages ne veulent rien dire. Ils n'avaient pas vu arriver
Jean-Marie Le Pen en 2002. Ils avaient enterré François Mitterrand en
1981. Certes. Mais n'oublions pas les apports des enquêtes d'opinion.
Il ne leur avait pas échappé que Mitterrand et Chirac étaient en
position d'être réélus en 1988 et 2002. Pour peu que l'on se souvienne
qu'une mesure d'intention de vote réalisée très en amont du scrutin est
parasitée par de friables effets de popularité, les sondages
fournissent de précieuses indications. Pour évolutif qu'il soit, le
phénomène Royal n'est pas réductible à une bulle de savon médiatique.
Ce n'est pas un hasard si les deux personnalités qui incarnent le mieux
« la rupture avec la manière dont fonctionne la société française actuellement » (2),
Royal et Sarkozy, sont les deux favoris actuels de la compétition
présidentielle. L'aspiration au renouvellement est, à ce jour, le trait
dominant de l'opinion française.
Cela se joue sur l'insécurité. Après avoir marqué la campagne de
2002, cette question ne cesse d'être ramenée sur le devant de la scène.
L'actualité récente apporte de l'eau au moulin de ceux qui pensent que
Sarkozy cherchera à placer à nouveau l'insécurité au centre des
polémiques électorales. En dépit d'un bilan contrasté, le ministre de
l'Intérieur reste, de loin, le plus crédible sur ce terrain (3). Mais
rien ne dit qu'il en sera ainsi. Aujourd'hui, la sécurité n'arrive
qu'en sixième position parmi les thèmes qui compteront dans le vote des
Français, derrière l'éducation, le chômage, la santé, le pouvoir
d'achat et les retraites (4). Pour autant, un enjeu n'émerge que s'il
provoque des prises de positions contradictoires. La gauche
saura-t-elle imposer celui de l'insécurité sociale ? Observons, pour
l'heure, qu'un thème apparaît en filigrane derrière la plupart des
débats de la dernière période, qu'il s'agisse de la carte scolaire ou
de la délinquance juvénile : celui de l'immigration. Un sujet de
prédilection pour tous les extrêmes, mais aussi un thème sur lequel la
droite est plus à l'aise que la gauche.
C'est le tour de la gauche. La bousculade de candidatures
socialistes est incompréhensible sans l'idée, répandue à gauche, d'une
probable victoire. C'est la théorie de l'essuie-glace. Avec une
régularité de métronome, l'électorat enverrait alternativement la
droite et la gauche au pouvoir. Les victoires de l'opposition aux
régionales puis aux européennes de 2004 annonceraient une future
alternance. Ce raisonnement néglige un détail. Tout ministre qu'il
persiste à être, Sarkozy s'efforce d'incarner une forme d'alternance
interne à la droite. Chirac avait emprunté, avec succès, une stratégie
semblable en 1995. Au demeurant, la gauche semble toujours nettement
minoritaire dans le pays. Au total, ses candidats ne rassemblent pas
plus de 43 à 45 % des intentions de vote au premier tour (Ipsos et
TNS-Sofres). La droite n'est certes pas fondée à croire la partie
gagnée. Mais la gauche encore moins.
(1) Enquête Ipsos-Le Point, 6-7 octobre.
(2) CSA-Le
Parisien-Aujourd'hui, 20-21 septembre.
(3) Ifop-Le Figaro-LCI,
21-22 septembre.
(4) TNS-Sofres-RTL-Le Figaro-LCI, 4-5 octobre.
Article publié dans "Le Figaro" du 12 octobre 2006.
Les commentaires récents